Sense City est une véritable mini-ville, entièrement recouvrable par une chambre climatique pour être soumise à tout type de scénarios climatiques, standards comme extrêmes. | Erick Merliot / IFSTTAR

Imaginez une ville miniature truffée de capteurs et placée sous une cloche étanche capable de simuler n’importe quel événement climatique, du grand froid à la canicule, mais aussi une pollution à grande échelle ou la propagation de microbes. L’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar) est en train de mettre la dernière main à l’édification d’un tel équipement, digne d’un film de science-fiction, au cœur de la cité Descartes, cluster de la ville durable, à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne).

Baptisée Sense City, cette plateforme de R&D sera inaugurée début 2018. Unique en Europe, elle permettra d’étudier la performance énergétique et la qualité sanitaire des bâtiments, d’observer l’impact de la végétation sur son environnement, d’analyser la qualité et la durabilité des réseaux urbains (transport, fluides), la qualité de l’air extérieur, des sols et des eaux, la performance de nouveaux matériaux urbains… Jamais un programme de recherche n’avait englobé toutes ces dimensions urbaines et essayé de se rapprocher aussi près de la complexité de la ville.

Né dans le cadre de la première vague d’appel à projets des investissements d’avenir lancé en 2010, Sense City s’est vu attribuer en 2011 un financement de 9 millions d’euros jusqu’à 2019. Ce programme implique non seulement l’Ifsttar mais aussi l’école d’ingénieurs ESIEE Paris, le laboratoire CNRS-Polytechnique sur les nanomatériaux (LPICM), I’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée (UPEM).

Chambre climatique

Sense City se compose de deux espaces de 400 m2. Sur chacun est construite une portion de territoire, une mini-ville équipée de multiples capteurs, parfois noyés jusque dans les matériaux, comme le béton. Au dessus, une chambre climatique, vaste hangar haut de 8 mètres reposant sur des rails, se déplace d’un espace à l’autre selon les besoins. Cela permet de réaliser des expériences soit en condition réelle à l’air libre, soit en condition contrôlée. Un des deux espaces dispose d’un sous-sol afin d’étudier la détection de réseaux, la géothermie ou encore la pollution des sols.

« La chambre climatique permet de tester sur un même environnement différentes conditions météorologiques spécifiques, sur des durées déterminées, explique Anne Ruas, chercheuse à l’Ifsttar et coordinatrice du programme. Le climat programmé peut être standard ou extrême, la température peut osciller entre -10° et 40°, et l’humidité de 20 % à 90 %. Comme nous voulons tester la végétation en ville, nous pourrons même reproduire des rayons équivalents à ceux du soleil. »

Pourront ainsi par exemple être programmées des canicules sur des périodes de plusieurs semaines afin d’étudier ses effets sur la pollution, la résistance de la végétation, ou encore la bonne calibration des capteurs. Il sera aussi possible de polluer l’atmosphère pour voir comment les matériaux réagissent, et comment les polluants se répartissent. Sense City offre un large panel d’expérimentations possibles, qui pourront être recommencées autant de fois que nécessaire, « ce qui serait impossible dans le monde réel », relève Anne Ruas. « L’avantage de cette mini-ville en chambre climatique est de pouvoir mettre des capteurs partout, sans générer d’inconfort ou d’inquiétude », souligne la chercheuse, qui sait que la multiplication des capteurs et autres compteurs « intelligents » suscitent des craintes chez les usagers.

Une miniaturisation des capteurs nécessaire

Offrant la possibilité de tests en conditions quasi réelles, Sense City permet aussi d’avancer sur la conception et l’amélioration des micros et nanocapteurs, et d’améliorer la chaîne de diffusion de l’information du capteur à la décision. « Les capteurs constituent un marché en développement aujourd’hui, mais beaucoup ne marchent pas bien. Un certain nombre se détériorent sur le long terme. Pour les améliorer, nous avons besoin de les tester en conditions réelles », souligne Tarik Bourouina de l’ESIEE Paris, école qui a récemment inauguré une nouvelle salle blanche dédiée aux micro et nanocapteurs. « La miniaturisation des capteurs est nécessaire si l’on veut vraiment mesurer toutes les dimensions de la ville avec précision, insiste ce professeur de physique. Les nanotechnologies permettent de réduire leur taille et, ce faisant, leur coût. »

La miniaturisation des capteurs et leur connexion en réseau permettent de contrôler un nombre croissant de paramètres physiques, chimiques ou biologiques. Ils peuvent servir à optimiser la consommation d’énergie, à donner des informations sur l’état des routes, à réguler les flux de transports, à donner l’alerte en cas de danger… « Aujourd’hui, 30 % de l’eau potable produite est perdue à cause des fuites, illustre Tarik Bourouina. En plaçant un nombre suffisant de capteurs dans les réseaux d’eau, on pourra détecter où précisément se situe une fuite, ou encore un excès de chlore. Cela permettra d’anticiper les conséquences de cet incident en fermant la partie du réseau défectueuse ou contaminée. »

En validant des technologies qui doivent permettre à nos villes de s’autodiagnostiquer en temps réel et d’améliorer leur aménagement, Sense City veut devenir un véritable laboratoire de la « smart city » de demain. « Il ne s’agit pas de programmer une ville entièrement truffée de capteurs, tient à préciser la coordinatrice du programme, Anne Ruas. Nous utilisons ces outils pour permettre avant tout aux villes d’avancer dans la transition énergétique, d’être plus résiliente et économe en ressources. » Quoi qu’il en soit, la « ville intelligente » communicante ne se fera qu’en y associant ses habitants et en garantissant les libertés et l’anonymat de chacun.