Lionel Messi face à des drapeaux indépendantistes catalans, lors d’une rencontre avec Eibar, au Camp Nou. / ALBERT GEA / REUTERS

Et si le Barça changeait de championnat ? Absurde de prime abord, la question revient sur le tapis au lendemain du référendum d’autodétermination de la Catalogne. Selon l’exécutif catalan, le « oui » à un « Etat indépendant sous forme de République » l’a emporté dimanche 1er octobre à 90 %, avec 2,26 millions de voix et un taux de participation de 42,3 %. Un jour de vote où les regards se sont notamment braqués sur le FC Barcelone, club symbole de l’identité catalane.

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« Mes que un club », c’est le slogan du club, en catalan dans le texte. Plus qu’un club, une institution. Qui depuis sa création, en 1899, a été le porte-voix de l’identité catalane face à Madrid puis au franquisme. S’il s’est clairement positionné en faveur du référendum, au nom de la liberté d’expression, le FC Barcelone s’est bien gardé de prendre position, à la différence de certains de ses joueurs passés ou présents. Une décision assez mal accueillie de part et d’autre.

Le club, « sélection catalane non officielle », est intervenu dans le débat public sous la « pression très forte de sa base », estimait avant le vote Carles Vinas, historien à l’université de Barcelone. A la fois membres et propriétaires du club blaugrana, les 150 000 socios ont le pouvoir de faire et défaire les équipes dirigeantes de leur club, devant voter tous les quatre ans pour élire les directions. Mais tous n’ont pas les mêmes idées concernant l’implication du Barça dans le débat politique. Et la direction actuelle, présidée par Josep Bertomeu, ne s’engage pas en faveur de l’indépendance, à la différence de Joan Laporta, président du club de 2003 à 2010.

Match à huis clos en guise de protestation

En guise de symbole, le jour du référendum, certains supporters souhaitaient que les joueurs reçoivent Las Palmas en Liga avec un maillot aux couleurs jaune et rouge du drapeau catalan, la « senyera ». Une requête refusée, le club appelant quelques jours avant le match au « respect » des opinions de chacun et à se focaliser sur le sport.

Les joueurs barcelonais, ici Gerard Piqué, ont porté pendant leur échauffement avant le match face à Las Palmas un maillot aux couleurs de la Catalogne. / JOSE JORDAN / AFP

Mais face au déchaînement de violences dimanche, le Barça a tenté de faire repousser la rencontre face au club canarien (lequel avait cousu pour l’occasion un petit drapeau espagnol sur son maillot). Alors que des milliers de personnes ont bravé l’interdiction de Madrid – parmi lesquelles le défenseur du Barça Gerard Piqué – pour se rendre dans les bureaux de vote, la police espagnole est intervenue, parfois violemment pour déloger les occupants et confisquer les urnes.

Face au refus de la Liga de reprogrammer le match à une autre date – et pour éviter les pénalités infligées en cas d’annulation unilatérale de la rencontre –, le club a « décidé de jouer le match et de le faire à huis clos pour qu’on voie cette critique et ce désaccord », a expliqué dimanche Josep Bertomeu. Et les joueurs ont porté le maillot aux couleurs de la « senyera » lors de leur échauffement d’avant-match.

Si les secrets du vestiaire du Camp Nou n’ont pas été éventés, la presse espagnole rapporte que seuls 10 % des joueurs catalans ont demandé à reporter la rencontre de dimanche. Et il est à noter qu’aucun des buteurs du jour n’a célébré son but par un geste connoté politiquement. Pourtant, la marque a été ouverte par le Catalan pur jus, Sergio Busquets.

Le Camp Nou comme un « Parlement de substitution »

Critiqué par la presse madrilène pour ne pas avoir ouvert ses portes, et par les indépendantistes catalans pour avoir disputé la rencontre, le FC Barcelone reste sur la corde raide. Dimanche, deux de ses dirigeants, sur une ligne plus radicale, ont démissionné pour protester contre le choix d’avoir joué.

Ayant défendu la langue catalane pendant la dictature de Franco – en permettant au public de le parler au Camp Nou –, le Barça demeure le réceptacle privilégié de la société catalane. A l’époque, « le Barça était un Parlement de substitution. Ce qu’on ne pouvait pas affirmer dans l’arène démocratique, on l’exprimait par le football », explique l’anthropologue du sport Carles Feixa. Un rôle qui, selon lui, perdure aujourd’hui, en démocratie, face à un gouvernement central accusé d’immobilisme.

Exclu de la Liga ?

« Armée désarmée d’une mémoire désarmée », selon les mots du poète Manuel Vazquez Montalban, le Barça pourrait se retrouver exclu de la Liga en cas d’indépendance de la Catalogne. C’est la menace que fait peser le président de la Liga, Javier Tebas, qui précisait dès 2014 que la loi du sport en vigueur en Espagne ne permettait pas à des clubs étrangers d’évoluer en Espagne, mis à part les équipes de la principauté d’Andorre.

Avant de rejoindre la Liga espagnole à sa création (1928-1929) avec son voisin de l’Espanyol Barcelone, le FC Barcelone participait au championnat de Catalogne. Mais un hypothétique retour à ces sources signifierait d’importantes pertes financières pour le club cinq fois vainqueur de la Ligue des champions.

De même que la perte d’adversaires à sa mesure comme le Real Madrid ou l’Atletico pourrait se révéler néfaste au point de vue sportif. Dans un cas de figure similaire, en Ecosse (non indépendante), le Celtic Glasgow tâte le terrain depuis plusieurs années pour rejoindre la très compétitive (et très lucrative, ce qui ne gâche rien) Premier League anglaise. Si l’Ecosse possède une ligue de football et un championnat depuis 1890, son niveau aujourd’hui est sans pareille mesure avec la surpuissante Ligue anglaise, où jouent par exemple les Gallois de Swansea.

Fondé par un Suisse, Joan Gamper, au tournant du XXe siècle, club sous les couleurs duquel se sont illustrés le Néerlandais Johan Cruyff et l’Argentin Lionel Messi, le FC Barcelone représente plus qu’un club dans sa ville. Et sera à coup sûr concerné par l’évolution de la situation en Catalogne.