Macodou Fall a 42 ans et n’a connu qu’une seule maison, celle de sa tante située au croisement du passage à niveau de la route de Niaye, dans le quartier populaire de Thiaroye, à Dakar. « J’ai grandi ici avec ma famille, mes amis et voisins, lance-t-il sur le perron. Nous avons accueilli des parents venus de loin. J’y ai tout vécu, mais aujourd’hui le gouvernement sénégalais veut la raser et je ne sais pas où l’on va aller. Nous allons devenir pauvres. J’ai peur. »

Comme des dizaines de milliers d’autres maisons, celle de Macodou est située sur le trajet du futur train express régional (TER) qui reliera dès 2019 le centre-ville de Dakar à la ville de Diamniadio (36 km). Lancé en décembre 2016 dans le cadre du Plan Sénégal Emergent (PSE), ce train à 568 milliards de francs CFA (866 millions d’euros), construit par l’entreprise française Alstom et appuyé par l’Agence de promotion des investissements et des grands travaux (APIX) a été qualifié par le président Macky Sall de « plus grand projet du Sénégal indépendant ». Il donnera naissance au Grand Dakar en permettant, à terme, de rejoindre une dizaine de gares de la banlieue, ainsi que le futur aéroport international Blaise Diagne de Diass (AIDB) à 55 km de la capitale.

« J’ai honte de mon président ! »

Comme nombre de ses voisins, Macodou ne s’oppose pas au projet sur le fond mais sur la valeur des indemnisations. « Le gouvernement n’a pas prévu de recasement pour les 250 000 personnes qui seront délogées par le chemin de fer, s’emporte-t-il. Ce projet va massacrer des familles et l’Etat s’en fiche, il ne nous propose que 19 200 francs CFA le mètre carré, en dessous du prix du marché. » C’est ce sentiment d’injustice qui l’a poussé à rejoindre le Collectif des personnes affectées par le projet TER dont il est, samedi 30 septembre au matin, le coordinateur de la première marche de contestation.

Macodou Fall discute avec sa tante dans la maison familiale de Thiaroye, quartier de Dakar, avant de mener le Collectif des personnes affectées par le projet TER manifester le 30 septembre 2017 contre des indemnisations d’expropriation jugées trop faibles. / Matteo Maillard

Une foule de 300 habitants en colère, vêtus de rouge, se regroupe sur les voies du train bleu à côté desquelles passera le nouveau chemin de fer. Dès la première pancarte brandie, une camionnette de la police approche. Au motif de l’absence d’autorisation de manifester, Macodou Fall, Ibrahim Cissé et plusieurs coordinateurs du rassemblement sont arrêtés sous les huées des habitants.

« Nous sommes venus pour sensibiliser les personnes affectées par le TER et regardez comment agit la police, tonne Assan Mbaye, 28 ans, membre du collectif. Notre maison est notre patrimoine. On ne la construit pas en trois mois, mais en cinq ou dix ans. Ils viennent prendre notre toit, détruire ce que nos parents ont bâti, sac de ciment après sac de ciment, en proposant 5 millions de francs CFA [7 600 euros] pour des maisons qui en valent 30 millions [45 700 euros]. Avec ces sommes, on ne pourra même pas acheter de terrain dans le quartier. J’ai honte de mon président ! Même les moutons, quand on les déplace, on leur prépare un autre enclos. »

Sur les trente mètres d’habitations qui vont être rasées parallèlement à la voie actuelle se trouvent aussi des petits commerces, comme celui d’Ousmane Diallo Faye, 29 ans, qui moud maïs, mil et grains de café depuis 2007. « Je n’ai pas encore trouvé de nouvelle place, souffle-t-il. J’ai peur de me retrouver au chômage, car je ne connais pas d’autre métier. Ici j’ai mes clients et mes habitudes. Je vais tout perdre car je suis sur le trajet du train. » Si lui a été prévenu de son évacuation lors de la phase d’information, ce n’est pas le cas de tous les habitants du quartier. « Les gestionnaires du projet ne savent pas encore où seront exactement les ouvrages annexes et n’ont donc pas pu prévenir les habitants situés aux emplacements concernés », explique Tiama Konaté, urbaniste et conseiller technique du collectif.

Des pierres en retour

Autre problème, les différences de compensations. « A Dakar, les habitants toucheront 100 000 francs CFA par mètre carré, à Pikine ce sera 47 500 francs CFA et Rufisque 20 000 francs CFA, poursuit Tiama Konaté. Mais, dans plusieurs cas, on se retrouve avec des maisons séparées par 20 mètres de voies, l’une sera indemnisée à 47 500 francs CFA, l’autre à 20 000 francs CFA, alors qu’il s’agit de la même continuité territoriale. L’échantillonnage qu’ils ont utilisé pour fixer les prix n’est pas correct. Ils veulent brûler les étapes, mais il faut revenir à la table des négociations et s’assurer que les intérêts de la population sont pris en compte. Régler le problème de la mobilité à Dakar oui, mais tout projet doit s’adapter à son environnement. Tant que ce ne sera pas le cas, nous nous mobiliserons. »

La voie du TER sera construite à côté de celle du train bleu qui relie Dakar à Bamako (Mali). / Matteo Maillard

La police a dispersé à coups de gaz lacrymogènes la foule qui lui a envoyé des pierres en retour. « S’il ne nous écoute pas, je peux jurer que Macky Sall ne sera pas réélu en 2019 ! », crie un manifestant.

Après quelques heures de détention, Macodou et ses camarades ont été libérés aux alentours de 16 heures.