Devant la gare Saint-Charles, à Marseille, le 1er octobre. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

C’est une sauvage attaque au couteau au caractère inédit en France qui a eu lieu, dimanche 1er octobre, sur le parvis de la gare Saint-Charles, à Marseille. Deux passantes ont été tuées, en pleine journée, au hasard de la foule, par un homme alors qu’elles patientaient au soleil. Une attaque revendiquée dans la soirée par l’organisation Etat islamique (EI), et pour laquelle le parquet de Paris s’est saisi de l’enquête. Le ministère de l’intérieur a toutefois appelé à la prudence, le profil de l’individu abattu, errant et vraisemblablement en situation irrégulière, étant encore l’objet d’incertitudes.

Il était 13 h 45 ce dimanche quand la panique s’est emparée de la gare Saint-Charles. Selon les premiers éléments de l’enquête, établis notamment à partir de l’exploitation des images de vidéosurveillance, l’agresseur a attaqué sa première victime par derrière. Selon un membre de l’équipe municipale de Marseille, qui a pu visionner ces images, « il s’est jeté sur elle sans qu’elle puisse réagir ». L’homme s’est éloigné, puis est revenu sur ses pas pour attaquer une seconde passante. Aucune des deux n’a réchappé à la violence des coups, l’homme s’étant, selon d’autres personnes qualifiées ayant pu visionner ces images, particulièrement acharné sur la seconde, lui donnant des coups « à la vitesse d’un marteau-piqueur ».

Selon le témoignage concordant d’une voyageuse recueilli par Le Monde, « l’homme a bombardé une première femme de coups de couteau. Il l’a attrapée par le cou, elle n’a rien pu faire. J’ai vu ensuite une seconde par terre ». Comme d’autres témoins entendus par les enquêteurs dans la foulée du drame, Dominique, qui était en transit avec ses deux enfants vers Amiens et prenait le soleil sur le parvis de la gare en attendant sa correspondance, assure avoir entendu l’agresseur crier « Allahou akbar », un des éléments déterminants qui ont conduit le parquet de Paris à ouvrir une enquête préliminaire pour « assassinats en relation avec une entreprise terroriste ».

Non « fiché S »

L’identité des jeunes femmes n’a pas été confirmée officiellement. Mais elles étaient cousines et âgées de 20 ans, a confirmé au Monde une source judiciaire. Selon l’AFP, elles étaient originaires de la région lyonnaise. C’est l’intervention d’une patrouille militaire de l’opération Sentinelle qui a permis de neutraliser leur tueur. Celle d’un réserviste de 24 ans, en particulier, cadre d’entreprise dans le civil, qui a abattu l’homme alors qu’il fonçait sur ses collègues en sortant un deuxième couteau. L’enquête préliminaire est à ce titre aussi ouverte pour « tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique ».

L’identité du tueur était toujours floue, lundi 2 octobre au matin. Lors de l’attaque, il ne disposait pas de papiers sur lui. Les enquêteurs ont procédé à sa prise d’empreintes digitales, et ces prélèvements ont fait ressortir le profil d’un homme d’origine maghrébine connu sous au moins huit identités, et régulièrement interpellé depuis 2005 pour des faits de droit commun (vol, stupéfiants) dans diverses villes du sud-est de la France. Un profil non « fiché S » et inconnu des services de renseignement. L’exploitation de son téléphone portable devrait toutefois aider à en savoir plus.

Au vu de ces éléments, les enquêteurs privilégient néanmoins la piste d’un individu en situation irrégulière. Domicilié en région Rhône-Alpes, il était encore en garde à vue, en début de week-end, à Lyon, pour vol, et « n’a pas pu démontrer la régularité de son séjour », selon une source proche du dossier. L’individu a seulement présenté une pièce d’identité tunisienne. « Des vérifications sont en cours auprès des préfectures afin de comprendre pour quelles raisons il n’a pas pu être éloigné jusqu’à présent », a ajouté cette source, rappelant les contraintes juridiques importantes en matière d’éloignement.

L’enquête a été confiée conjointement à la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT) et à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, qui s’est rendu sur les lieux du drame, dimanche, s’est toutefois montré prudent sur le caractère terroriste des faits : « A partir du moment où le procureur de Paris antiterroriste est saisi, c’est une possibilité mais on ne peut pas l’affirmer, à ce stade, de manière assurée. » Gérard Collomb a salué au passage l’intervention des militaires de l’opération Sentinelle.

L’attaque a en tout cas obligé à suspendre totalement le trafic jusqu’aux alentours de 17 heures. Plusieurs dizaines de trains ont été ainsi stoppés dans les gares environnantes ou, dans certains cas, en pleine voie. Le périmètre de la gare, lui, a été bouclé dans la demi-heure suivant l’attaque. Deux cents policiers nationaux et municipaux ont été ensuite déployés sur le site, en plus des militaires de l’opération Sentinelle.

Les réactions politiques n’ont pas tardé. N’empruntant pas la prudence du ministre de l’Intérieur, Jean-Claude Gaudin, maire (LR) de Marseille, a ainsi rapidement affirmé de son côté : « Pour moi, c’est un attentat. Deux jeunes femmes ont été assassinées dans ce lieu symbolique, emblème d’une ville ouverte sur tous les horizons, par un homme qui agissait au nom du mal. » Saïd Ahamada, député (LRM) de Marseille présent aussi sur place, a, lui, fait part de son trouble car « les Marseillais – et j’en fais partie – se sentaient à l’abri » de tels actes.

Selon un certain nombre d’observateurs, la deuxième ville de France semblait en effet jusqu’à présent relativement épargnée par la pratique étendue d’un islam radical dur. A la différence par exemple des Alpes-Maritimes ou de Lunel (Hérault), d’où sont partis vers la Syrie un certain nombre de candidats au djihad.

Plusieurs alertes

Marseille a cependant connu quelques alertes. Le 11 janvier 2016, un lycéen d’origine kurde, à peine âgé de 16 ans, frappait à l’aide d’une machette un enseignant juif qui se rendait à son école en habit et portant une kippa. La victime s’était protégée avec sa torah. L’adolescent venait de faire allégeance à l’EI et a été condamné à sept ans de prison, le 2 mars, pour tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste par le tribunal pour enfants de Paris.

De même, en avril, à cinq jours du premier tour de l’élection présidentielle, les services de renseignement ont déjoué une tentative d’attentat relativement sophistiquée contre un meeting politique. Deux hommes « fichés S » originaires du nord de la France ont été interpellés dans un appartement situé derrière la gare Saint-Charles. Munis d’armes de guerre, de munitions et de trois kilos d’explosif de type TATP, ils étaient prêts à passer à l’acte de façon « imminente », selon les services d’enquête de l’époque.

Enfin deux jeunes hommes originaires d’une cité des quartiers Sud de Marseille sont aujourd’hui mis en cause dans l’enquête conduite en Belgique sur l’attentat du musée juif de Bruxelles qui a fait quatre morts le 24 mai 2014. Six jours après cet attentat revendiqué par l’EI, son auteur présumé, Mehdi Nemmouche, avait été interpellé à sa descente d’un bus à la gare Saint-Charles. Il était en contact avec deux anciens codétenus de Salon-de-Provence.

Le 21 août, quatre jours après l’attaque commise à Barcelone, les autorités ont enfin craint un attentat terroriste lorsque le conducteur d’une fourgonnette a par deux fois foncé sur des abribus marseillais, tuant une femme, en blessant une autre. Pour ce cas, les enquêteurs ont toutefois très vite écarté la piste terroriste. L’homme âgé de 34 ans, soigné dans une clinique psychiatrique des environs de Marseille, n’avait aucun lien avec l’islam radical. « Quand j’ai mis un coup de volant, c’était pour percuter ma mère, j’ai vu son image », a-t-il expliqué récemment devant les juges assurant.