Réalisé par Joseph Losey en 1970, Deux hommes en fuite (Figures in a Landscape en anglais) s’inspire d’un roman de Barry England, qui empruntait lui-même son titre à une toile de Francis Bacon de 1945, Figure in a Landscape. La référence à la peinture est importante tant la forme qu’adopte ce film méconnu tend vers l’abstraction. Ses personnages, deux fugitifs lancés dans une course folle à travers une succession de paysages hostiles et fascinants, traqués sans que l’on sache jamais pourquoi par un hélicoptère noir, froid comme la mort, sont appréhendés comme de pures puissances pulsionnelles. Deux blocs de peur et de rage à peine contenue dont on ne saura à peu près rien, sur lesquels le spectateur sera libre de projeter ce qui lui chante tandis qu’il s’abîme dans la contemplation des tableaux successifs, qui ne sont pas sans évoquer les douloureuses et violentes visions du peintre britannique.

Le film s’ouvre sur une plage où les deux hommes, incarnés par Robert Shaw (à qui le cinéaste a par ailleurs confié l’écriture du scénario) et Malcolm McDowell (dont c’était là un des premiers rôles au cinéma), les mains attachées dans le dos, sont déjà en train de courir. Filmés en plan très large, depuis le ciel, ces deux petites silhouettes perdues dans l’immensité du paysage ne s’arrêteront plus, ou presque.

Fable métaphysique sur la liberté et l’oppression

On les suit dans la montagne, dans les bois, à travers des plaines aux allures de décors de westerns, dans les ruelles en pierre d’un village typiquement européen, autant de décors déserts, ou éventuellement peuplés de figures muettes, abstraites, sans visage, où on les voit évoluer, peu à peu, de l’état d’hommes en quête de liberté à celui d’animaux traqués. Rendue terriblement angoissante par la nature métallique, inhumaine, abstraite, de l’ennemi qui les pourchasse – le pilote de l’hélicoptère est une silhouette noire dont on ne distingue jamais le visage –, par la musique stridente qui l’accompagne, leur course est suspendue en quelques brefs moments, le temps pour les deux personnages de reprendre leur souffle, de défaire leurs liens, de s’insulter copieusement, de récupérer une arme auprès d’un macchabée…

Fable métaphysique sur la liberté et l’oppression, et plus généralement sur la condition humaine, Deux hommes en fuite résonne évidemment avec l’histoire de son auteur, sympathisant communiste placé sur liste noire par l’administration maccarthyste qui, une fois réfugié en Angleterre, se retrouva à nouveau stigmatisé pour ses idées politiques, et empêché de travailler comme il voulait. Insensiblement, on voit s’atténuer l’agressivité des deux personnages l’un envers l’autre. Et quand leur espoir a fini de s’évaporer, que la caméra s’aventure au plus près de leurs visages, qu’ils commencent à échanger des bribes de confidences, un lien se noue entre eux, qui témoigne de leur commune humanité. Faute de jamais aboutir, leur lutte pour la liberté aura induit, en les dépouillant des oripeaux d’une civilisation mortifère, une forme d’élévation morale.

Deux hommes en fuite de Joseph Losey : bande-annonce
Durée : 01:05

Film britannique de Joseph Losey (1970). Avec Robert Shaw et Malcolm McDowell (1 h 50). Sur le Web : carlottavod.com/deux-hommes-en-fuite