A Monteux, le samedi 30 septembre 2017. / Le Monde.fr

C’est bien une question de Parisien, ça. Pourquoi la moitié des équipes engagées dans les deux premières divisions françaises de moto-ball viennent-elles d’un seul et même département, le Vaucluse ? Dans la commune de Monteux, à quelques coups de pédale du mont Ventoux, cet hybride du football et de la moto se transmet de famille en famille sans même que l’on s’enquière de son origine. « Il n’y a pas d’explication, chacun va te donner la sienne », répond plutôt Gérald Meyer, dans son survêtement de sélectionneur de l’équipe de France, à la buvette d’avant-match.

Le Provençal est venu assister au « derby » vauclusien, comme beaucoup appellent le match de ce samedi 30 septembre : pour son avant-dernière rencontre de la saison en championnat, le Sporting club moto-ball de Monteux reçoit le Moto-ball club de Carpentras. Entre les deux villes, à peine une dizaine de minutes en voiture. Et de nombreux spectateurs en commun. « La semaine prochaine, si tu viens à Carpentras, tu verras les mêmes spectateurs qu’à Monteux », annonce le sélectionneur Meyer, agent immobilier de profession, qui compare la surreprésentation du Vaucluse dans ce sport à « la densité du rugby dans le Sud-Ouest ».

Accrochée à un poteau, une affiche annonce le match sur fond jaune fluo. « On la met un peu partout dans la ville, dans les bars, les autres commerces », développe Nicole Vache, trésorière du Sporting et épouse du mécano de l’équipe. Prix de l’entrée : 5 euros pour le tout-venant, 3 pour les licenciés de la Fédération française de motocyclisme (FFM). Sur les sept équipes du championnat national d’Elite 1, trois se trouvent dans le Vaucluse : Monteux et Carpentras, donc, mais aussi Camaret-sur-Aigues. Quatre autres jouent en Elite 2 : Robion, Valréas, Bollène, ainsi que l’équipe bis de Camaret.

Les moteurs à l’Assemblée nationale

Des cités de taille variable (entre 4 000 et 28 000 habitants) où le moto-ball fait partie des coutumes, et auxquelles il offre bien souvent une occasion unique de briller au plus haut niveau d’un sport. Des villes où les responsables politiques s’approchent volontiers des moteurs. « Ils viennent se montrer ici comme ils iraient à un match de rugby ou de foot », explique Gérald Meyer. A Monteux, il y a déjà eu le maire Christian Gros, socialiste. Marion Maréchal-Le Pen (Front national) aussi a déjà été aperçue, l’an passé, alors députée de ce département où l’extrême droite a gagné en importance.

Thierry Mariani (Les Républicains), un autre ancien député du Vaucluse, est allé plus loin dans l’affichage de son intérêt. En juin 2005, dans une séance de questions au gouvernement, le parlementaire demandait une plus grande tolérance envers les clubs de moto-ball pour rehausser leur seuil de bruit autorisé : 5 décibels en période diurne. « Malgré la volonté des dirigeants des clubs de trouver un juste équilibre entre l’exercice de ce sport et la tranquillité des riverains, […] la poursuite de cette activité est aujourd’hui fortement compromise », déclarait-il.

Sous sa casquette, Roger Blanc fait remonter cette passion vauclusienne à l’après-seconde guerre mondiale. « Le Vaucluse était un département riche avec l’agriculture, la vigne, même s’il y avait très peu d’industrie », précise cet électromécanicien à la retraite, membre de la commission moto-ball à la « fédé » française de motocyclisme. Sous-entendu : un département assez riche pour que des clubs y développent les sports mécaniques, dans la continuité des décennies précédentes. Les courses de côte du mont Ventoux réunissaient déjà autos, motos et side-cars depuis le début du XXsiècle, et le circuit moto d’Avignon s’installait dans la ville papale dès le mitan des années 1930. Deux compétitions aujourd’hui disparues.

En quête d’explication à l’implantation du moto-ball, d’autres s’en remettent aux cieux. La météo provençale favoriserait les sports de plein air. « Pour le motocross, je connais des Belges et des Hollandais qui venaient s’entraîner dans le coin tout l’hiver », précise un spectateur, Jean-Pierre Lesage. Mais « l’explication climatique » ne fait pas tout. M. Lesage vient d’un département voisin. La météo y est similaire, pas l’intérêt pour son sport favori. « J’habite dans le Var, explique cet artisan. Là-bas si je dis, “Tiens, je vais aller voir un match de moto-ball ce soir”, on me répond :“De quoi ?” A 100 bornes de Monteux, les gens ignorent ce que c’est. »

Chutes et chocs pour un très gros ballon

Ici, le club de moto-ball a déménagé loin du centre-ville et des plaintes potentielles d’habitants. Rouler encore cinq bons kilomètres après la gare de Monteux, puis suivre les panneaux annonçant le karting. Le stade Edouard-Grangier, du nom de l’ancien maire socialiste (1959-1976) et sénateur, a une seule tribune métallique. La pluie ayant rendu les sièges peu désirables, les spectateurs s’accoudent plutôt à la main courante qui longe le terrain. « Environ 500 » ont fait le déplacement, selon les estimations au doigt mouillé d’Eric Palayer, président du Sporting.

Le dirigeant tient le micro pour annoncer les remplacements. A chaque quart-temps (quatre fois 20 minutes), toujours un petit mot de remerciement pour les sponsors de ce club au budget de « plus ou moins 80 000 euros cette année » : supermarché, pizzeria, mairie, liste non exhaustive. Lui aussi fait partie des partenaires. Le nom des auto-écoles Palayer barre la tenue jaune fluo des joueurs. Sur ces gravillons semblables à ceux d’un terrain de pétanque, les gardiens de but restent à pied, et quatre motards de chaque côté tapent du bout de leur botte dans un très gros ballon en cuir : près de 900 grammes et 40 cm de diamètre.

Chutes et chocs rythment le match au point d’entraîner l’expulsion temporaire de deux joueurs de part et d’autre. « Un sport convivial », insiste pourtant Marion Trousse, derrière la rambarde. L’aire de jeu ressemble aux dimensions d’un terrain de football, les cages aussi. Voilà un an que cette caissière et son compagnon ont découvert ce sport, par un ami. « Il nous a mis dans l’ambiance », ajoute-t-elle, verre de bière en main. Tout autour du stade, des visages chenus mais aussi des poussettes, des enfants qui encouragent leurs papas avec le vain espoir de se faire entendre par-dessus le vacarme motorisé.

A Monteux, le samedi 30 septembre 2017. / Le Monde.fr

Des femmes, aussi. Mais seulement à domicile. Les matchs à Houlgate (Calvados), à Neuville-de-Poitou (Vienne), à Voujeaucourt (Doubs) ou à Troyes (Aube) ? Sans elles. « Maintenant, les femmes de joueurs ne vont plus aux déplacements quand l’équipe joue loin d’ici, les joueurs préfèrent rester entre eux », regrette l’une. Une logique « macho », selon une autre, qui ajoute : « Après, nos joueurs se plaignent qu’ils n’ont pas de supporteurs à l’extérieur… » La question dépasse celle des tribunes : à ce jour en France, toujours aucun championnat féminin, pas plus qu’une sélection nationale féminine.

Au bord du terrain, un steward avec gilet et talkie-walkie. Florent Usseglio justifie sa présence : « S’il y a des joueurs qui en veulent physiquement aux arbitres, ou des spectateurs qui entrent sur le terrain de façon intempestive », le bénévole se tient prêt pour raccompagner les deux arbitres de champ et leurs deux assistants dans les préfabriqués qui tiennent lieu de vestiaire. Depuis un an qu’il officie à Monteux, jamais encore « [il] n’a eu à intervenir », précise-t-il cependant.

Autres temps, autres humeurs, affirme Gérald Meyer : autrefois « il y avait beaucoup plus de bagarres, de débordements ». Ce qui explique en partie pourquoi, selon le sélectionneur national, le moto-ball a longtemps eu la réputation de « canard boiteux » au sein de la FFM, qui administre aussi les compétitions de motocross, vitesse, enduro et trial. « On a bien balayé devant notre porte en termes de discipline, de comportement », veut croire l’entraîneur.

« Les plus mordus... ou les plus fous ! »

A la fin du match, nulle bagarre générale malgré l’amplitude du score : 6-2 pour les motards de Carpentras, bien placés pour succéder au Sporting Monteux dans l’obtention du titre de champion de France. Ce nouveau titre vauclusien s’ajouterait à une liste déjà longue qui place en tête Camaret (17 titres depuis 1949) et Valréas (16 depuis 1959), les deux clubs les plus titrés du pays devant Troyes, autre place forte de ce sport sous domination soviétique puis russe au niveau continental : en août, la France perdait contre la Russie en finale des championnats d’Europe… à Camaret-sur-Aigues.

Encore sur leurs motos, les joueurs se serrent la main puis s’offrent un dernier tour d’honneur, certains avec des enfants comme passagers. D’autres répondent aux questions du journal Vaucluse Matin. « Honnêtement, je ne sais pas pourquoi ici le moto-ball a perduré, avant il y avait des clubs partout en France. Ici on est peut-être les plus mordus… ou les plus fous ! », s’amuse Stéphane Fraysse, 34 ans. Cet exploitant agricole jouait avec son frère pour Monteux face à leurs deux cousins dans le camp de Carpentras, le premier comme joueur, le second comme entraîneur.

Le sportif s’inquiète. Lui-même petit-fils et fils de joueur, il a observé l’évolution de son sport en vingt ans de pratique : « le moto-ball disparaît doucement », d’après lui, faute de ressources. Y compris dans le Vaucluse : déjà plusieurs clubs du département ont dû fermer à Jonquières, à Avignon ou ailleurs. « Au fur et à mesure, les clubs ne peuvent plus suivre, il y a de moins en moins de bénévoles, tout le monde a subi la crise. » Compter plus de 7 000 euros en moyenne pour une moto de 250 cm3, à chaque fois à la charge du club. Le prix de la passion (vauclusienne) pour le moto-ball.