Le 1er october 2017 à Bamenda, des Camerounais anglophones proclament leur « indépendance » symbolique sur les réseaux sociaux et dans la rue, arborant le drapeau de leur Etat rêvé : l’Ambazonie. (Capture d’écran) / Reuters TV/REUTERS

Depuis deux jours, Georgette, son mari et leurs deux enfants sont barricadés chez eux, lumières éteintes et s’abstenant de cuisiner pour ne pas attirer l’attention des policiers et des soldats, qui tirent dès que quelqu’un sort de chez lui. Vingt-quatre heures après les manifestations du dimanche 1er octobre, la tension reste très vive à Bamenda, épicentre de la contestation anglophone dans la région Nord-Ouest du Cameroun.

Une déclaration symbolique d’« indépendance » des régions anglophones a été proclamée dimanche sur les réseaux sociaux par Sisiku Ayuk, « président » de ce nouvel « Etat » que les séparatistes veulent appeler l’« Ambazonie ». A l’appui de cette proclamation, les séparatistes anglophones ont tenté de manifester dans les deux régions.

Les contestataires ont été dispersés violemment et au moins 17 personnes sont mortes, selon Amnesty International et des sources officielles. Le gouverneur du Nord-Ouest, une des deux provinces anglophones, a parlé, à la radio d’Etat, de 11 morts dans sa seule région, dont 5 au cours d’une tentative d’évasion dans une prison.

Dans le quartier Travellers de Bamenda, Georgette et sa famille se sont retrouvés malgré eux aux premières loges. « C’est ici que se sont formés les cortèges de jeunes manifestants qui tenaient des arbres de la paix et des drapeaux de l’Ambazonie », explique Georgette en chuchotant au téléphone. Soldats et policiers ont tenté de les disperser avec des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles. Un hélicoptère a aussi longtemps survolé la zone. « Je me suis dit qu’il y avait beaucoup de morts et de blessés, dit Georgette. J’ai entendu des cris de douleur de ceux qui avaient reçu des balles. »

« Ne sortez plus de chez vous ! »

Selon deux autres personnes du quartier, la tension est montée lorsque les forces de sécurité, excédées par les manifestants qui ne cessaient de revenir après avoir été repoussés, ont brûlé sept motos-taxis. La foule, pour se venger, a mis le feu à la station-service Tradex qu’elle croyait appartenir à la première dame du pays, Chantal Biya.

Lundi, les rues de Bamenda, la capitale du Nord-Ouest, restaient sous couvre-feu et quadrillées par les soldats et les gendarmes. Les habitants qui tentaient de sortir étaient interpellés ou pris pour cible par des tirs. A un carrefour, quatre jeunes femmes qui marchaient en file indienne ont été arrêtées par la police militaire, qui les a obligées a s’asseoir par terre. « Ne sortez plus de chez vous ! », leur a ordonné un policier avant de les relâcher. Un jeune homme qui arrivait en sens inverse a été prié de rebrousser chemin. Il a refusé d’obtempérer et a nargué les hommes armés. « Venez, venez ! », leur a-t-il crié en riant. Deux soldats se sont lancés à sa poursuite, sans parvenir à le rattraper. Il sera finalement rejoint par un pick-up de policiers cagoulés qui l’ont tabassé avant de l’emmener au poste.

Des policiers ont arrêté un manifestant à Buéa, capitale de la région du Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones qui ont proclamé leur « indépendance » symbolique le 1er octobre 2017. (Capture d’écran) / Reuters TV/REUTERS

Dans le centre-ville, les forces de l’ordre ont nettoyé les rues des barricades de bois et de pneus dressées la veille par les manifestants. Non loin de la villa de John Fru Ndi, président du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition du Cameroun, dans le quartier Ntarikon, trois policiers lourdement armés marchent dans la rue. « Ils vont interpeller des jeunes, s’alarme l’opposant, prévenu par l’un de ses vigiles. Ils m’ont encore provoqué, ils ont tiré des gaz lacrymogènes dans ma cour. C’est la deuxième fois que cela se produit depuis le début de la crise anglophone l’an dernier. »

Outre Bamenda, les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles dans plusieurs autres villes comme Ndop, Kumbo et Kumba, selon des sources concordantes. « Avez-vous entendu que les manifestants ont tiré sur les policiers ? Qu’ils ont sorti des machettes ? C’étaient des jeunes hommes et femmes désarmés, s’insurge John Fru Ndi. Qui a donné l’ordre de tirer et tuer ces gens-là ? Je pense que M. Biya doit être amené à la Cour pénale internationale et qu’on doit le juger pour crimes contre l’humanité. »

« Marginalisation »

Le président camerounais Paul Biya, actuellement en vacances à Genève (Suisse), a condamné, dimanche, « de façon énergique tous les actes de violence, d’où qu’ils viennent, quels qu’en soient les auteurs », appelant au « dialogue ». Un porte-parole du gouvernement a prévenu que les médias n’auront plus le droit de donner la parole aux « personnes qui promeuvent l’idée de sécession ».

Le 1er october 2017, des Camerounais anglophones ont dressé des barricades dans les rues de Bamenda et proclament leur « indépendance » symbolique sur les réseaux sociaux et dans la rue, arborant le drapeau de leur Etat rêvé : l’Ambazonie. (Capture d’écran) / Reuters TV/REUTERS

Depuis novembre 2016, la minorité anglophone, qui représente environ 20 % des 22 millions de Camerounais, proteste contre ce qu’elle appelle sa « marginalisation » dans la société. Outre les séparatistes, des anglophones exigent le retour au fédéralisme, qui a prévalu au Cameroun entre 1961 et 1972, avec deux Etats au sein d’une même République. La crise a été exacerbée début 2017 par une coupure de l’Internet de trois mois ne touchant que les régions anglophones, et s’était amplifiée ces dernières semaines à l’approche du 1er octobre, date symbolique de la naissance, en 1961, de la République fédérale du Cameroun. L’Internet et l’accès aux réseaux sociaux ont été à nouveau limités depuis vendredi soir.

Lundi, la France s’est dite « préoccupée par les incidents (…) qui ont fait plusieurs victimes » et appelle « l’ensemble des acteurs » à la retenue. Samedi, l’Union européenne avait appelé « tous les acteurs » à « faire preuve de retenue et de responsabilité ». Jeudi, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait exhorté les autorités camerounaises « à promouvoir des mesures de réconciliation nationale ».