Le conseil municipal de Pezilla (Pyrénées-Orientales), autour d'une urne sur laquelle est écrit en catalan " Les urnes ne mordent pas". / GEORGES BARTOLI/DIVERGENCE POUR "LE MONDE"

Ils n’avaient guère cru à ce référendum d’indépendance de l’autre côté des Pyrénées. Depuis dimanche 1er octobre, ils ont compris. Partis en observateur, en ami ou simplement curieux de ce processus électoral qu’ils n’avaient pas pris au sérieux, de nombreux élus – maires, conseillers départementaux ou petits élus locaux –, les « Catalans du nord » comme ils s’appellent, sont revenus choqués de ce qu’ont vécu leurs voisins. Leur identité catalane était vivace mais cantonnée au folklore. Elle est devenue questionnement sur l’avenir.

Jusqu’alors, de Perpignan à Prades en passant par les villages des montagnes, on vivait son identité régionale assez sagement. On chantait L’Estaca, symbole de la lutte contre l’oppression franquiste, lors des matchs de l’USAP, l’équipe de rugby locale. On dansait la sardane et on applaudissait les castells (pyramides humaines) lors des fêtes de villages. Les plus mordus mettaient leurs enfants dans des écoles publiques ou associatives catalanes.

Mais ce « catalanisme de terroir » ne poussait pas plus loin. Les mouvements régionalistes n’ont jamais pesé dans les élections, sinon alliés avec d’autres forces ravies de les afficher comme des trophées. « L’attachement [à la Catalogne] est culturel, pas politique ni identitaire », note Jean-Marc Pujol, maire (Les Républicains) de Perpignan.

Ce qui se passait à Barcelone ou Gérone était suivi de loin. Les cousins catalans semblaient presque excessifs. « Il y avait un écho assez limité dans les Pyrénées-Orientales des soubresauts vécus en Catalogne. Une empathie ressentie, mais guère plus. Ici, les préoccupations portent sur le chômage et l’immigration, pas la langue », remarque David Giband, professeur de géographie à l’université de Perpignan.

Il y avait eu un premier sursaut de fierté régionale en septembre 2016 quand près de 10 000 personnes avaient défilé pour réclamer que la dénomination « Pays catalan » soit ajoutée à celle d’Occitanie, lors de la fusion entre le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. « Tout d’un coup, la “catalanité” devenait plus réelle parce qu’elle était bafouée. Depuis, de nombreux descendants de la Retirada [exode des réfugiés républicains en 1939 à la fin de la guerre civile] reviennent à leurs racines catalanes », assure Jordi Vera, coordinateur du collectif Oui au Pays catalan.

« Les urnes ne mordent pas »

Le déclic s’est produit le 19 septembre quand le gouvernement espagnol a inculpé plus de 700 élus pour empêcher la tenue du référendum. D’un coup, l’actualité espagnole rentrait dans les foyers par le biais de TV3, la chaîne barcelonaise. Côté français, France Bleu et le quotidien L’Indépendant suivaient de près.

« Aucun parti traditionnel n’a vu venir ce qui est en train de se passer et on n’a pas été à la hauteur », se désole Nicolas Garcia, vice-président communiste du département. A son initiative, un premier appel d’élus s’est alarmé de la « répression » ordonnée par Madrid, bientôt suivi par les maires du Syndicat pour la promotion de la langue catalane. Pas de grande manifestation de rue mais un frémissement souterrain. « Les politiques ont senti une attente chez leurs administrés et ont dû bouger. Avant, ils ne pensaient pas que le référendum se ferait », observe Hervé Pi, coordinateur de l’antenne française de l’ANC, puissante association catalane.

Dans les villages, plus impliqués avec leurs jumelages transfrontaliers et la présence des familles de part et d’autre des Pyrénées, les initiatives ont été plus marquées. Comme à Pézilla-la-Rivière, petit bourg de 3 500 habitants, où le conseil municipal a posté sur Twitter une photo qui proclamait que « les urnes ne mordent pas ». L’ensemble des élus, toutes tendances politiques confondues, sont partis le jour de référendum observer le scrutin. Au sud, à Elne, des dizaines d’urnes ont été cachées tandis que des bulletins de vote étaient imprimés en cachette « dans la zone », raconte un élu, sans plus de précision.

Sur les ondes de Radio Arrels, média associatif, on a aussi senti le basculement de l’auditoire. « De nombreux citoyens ont compris qu’un mouvement était en marche », témoigne Albert Noguer, directeur de l’antenne. « Ce qui s’est passé dimanche a changé le regard des Catalans. Cela a été un début de prise de conscience », souligne aussi Jean-Paul Alduy, ancien maire centriste de Perpignan. Les images et récits des files d’attente massives malgré les violences policières ont marqué les esprits. Désormais, la Catalogne indépendante apparaît enviable sur ces terres où on jalouse depuis longtemps Montpellier et Toulouse pour leur dynamisme.

Economie mal en point

Le département est en effet un des plus pauvres de France. Moins d’entreprises, une agriculture en berne. Il n’y a guère que le tourisme qui marche un peu. Les Pyrénées-Orientales perdent leurs jeunes qui passent de l’autre côté de la frontière. Beaucoup se sentent oubliés par Paris comme par la région.

« On a compris qu’il y a, au sud, un pays qui innove économiquement tandis que la France nous tourne le dos », lâche Jean-Paul Billes, maire divers droite de Pézilla. « Pour nous, cela peut être une opportunité quand on n’attend plus grand-chose de Paris », renchérit Chantal Gauby, ancienne enseignante et adjointe au maire. « Nous nous sommes rendu compte que notre modèle agricole était proche de celui des Catalans, on peut travailler ensemble », remarque Jean-Marie Rogier, président d’une coopérative au Soler.

Désormais, les Pyrénées-Orientales rêvent d’être un « pont », une « charnière » vers la Catalogne, tout en restant françaises. Comme un espoir pour sortir du marasme. L’engouement ne durera pas, veut croire le maire de Perpignan. Peut-être mais il fait vibrer de ce côté-ci des Pyrénées. Tout comme la peur de voir la situation dégénérer dans les jours à venir : « La réaction de l’Etat espagnol nous a stupéfaits. On n’imaginait pas que la démocratie pouvait être si fragile à nos portes », souffle Catherine Miffre, chef d’entreprise de Pézilla. Dans ce petit village comme dans d’autres, élus et citoyens se disent encore prêts à aider leurs frères de cœur : « Ils ont besoin de protection puisque ni la France ni l’Europe ne bougent. »