La présidente du Front national a critiqué, mardi 3 octobre, lors d’une conférence de presse, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qualifiant le texte de « sous-état d’urgence » et appelant le gouvernement à le retirer. Au prix d’arguments souvent caricaturaux, voire mensongers. Explications.

Un discours trompeur sur le bracelet électronique

CE QU’ELLE A DIT

« Vous rendez-vous compte que d’après le texte de Monsieur Collomb, un terroriste potentiel devra donner son accord pour la pose d’un bracelet électronique, mais pire, que ce bracelet électronique n’aura pas le droit de le géolocaliser. »

POURQUOI C’EST TROMPEUR

Marine Le Pen critique les mesures individuelles de surveillance détaillées dans l’article 3 du projet de loi. Ce dernier traite du cas des personnes suspectées de représenter une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, mais qui ne font pas l’objet de poursuites pénales ou d’une condamnation.

Pour ces cas, le projet de loi fait entrer dans le droit commun des mesures comparables aux assignations à résidence prévues dans le cadre de l’état d’urgence. Concrètement, le préfet peut désormais décider seul de soumettre les personnes visées à une restriction de leurs mouvements. Elles devront rester dans un périmètre limité, qui ne pourra être inférieur à celui de leur commune de résidence, et devront se présenter régulièrement à la police ou à la gendarmerie (maximum une fois par jour).

Le bracelet électronique est en fait proposé ici comme une alternative à l’obligation de pointage : le texte prévoit que le ministre de l’intérieur peut proposer à la personne assignée à un périmètre restreint de se soumettre à ce contrôle. Si elle l’accepte, elle n’aura alors plus à pointer tous les jours.

Ce dispositif ne prévoit pas de géolocalisation en temps réel si l’individu sous surveillance reste dans la zone à laquelle il est assigné, mais alerte dans le cas contraire. Dans ce cas précis, les autorités pourront bien utiliser le bracelet pour géolocaliser l’individu, contrairement à ce que laisse entendre Mme Le Pen.

Jusqu’ici, le placement sous surveillance électronique était une alternative à la détention provisoire ou à l’incarcération en cas de peine d’emprisonnement. Et même dans ces cas, il ne peut se faire qu’avec l’accord de la personne incriminée. Une nécessité rappelée par un avis du Conseil d’Etat de décembre 2015.

Une proposition bancale pour poursuivre les djihadistes

CE QU’ELLE A DIT

« Nous avions demandé que soit dressée la liste des organisations terroristes, ce qui aurait permis de poursuivre pour “intelligence avec l’ennemi” toute personne liée à elles, en vertu de l’article 411-4 du code pénale, et de les condamner à trente ans de prison. »

POURQUOI C’EST INUTILE

La présidente du FN remet ici sur la table une proposition qu’elle défend depuis au moins 2016 : juger les djihadistes présumés pour « intelligence avec l’ennemi ». Cette disposition du code pénal est au départ prévue pour les espions et les traîtres à la nation. Et comme nous l’expliquions en juin 2016, les juristes sont sceptiques quant à la possibilité de l’appliquer au cas des terroristes.

Mais, au-delà de sa fragilité juridique, la proposition de Marine Le Pen n’a surtout aucun intérêt en termes de sévérité des peines ou de possibilité d’engager des poursuites. Il existe en effet une disposition précise dans l’arsenal juridique français qui permet de poursuivre les terroristes, avant même qu’ils ne passent à l’acte : l’« association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ». Des peines pouvant aller jusqu’à trente ans de prison et 500 000 euros d’amende sont déjà prévues dans ce cadre, ce qui est même un peu plus que pour l’« intelligence avec l’ennemi » (trente ans de prison et 450 000 euros d’amende).

Expulser tous les fichés S, une proposition (toujours) inapplicable

CE QU’ELLE A DIT

Marine Le Pen a également une nouvelle fois rappelé sa proposition d’expulser tous les étrangers fichés S (pour sûreté de l’état), qui était le 29e de ses 144 engagements présidentiels :

« Le ministre [de l’intérieur] a avoué que plus de 3 000 étrangers sont fichés S (…) en expliquant doctement qu’ils ne seraient pas obligés de quitter le territoire français. »

POURQUOI C’EST INAPPLICABLE

Dans les faits, la loi permet tout à fait d’expulser un étranger lorsqu’il représente « une menace grave ou très grave pour l’ordre public ». Il faut en revanche que le danger représenté par cette personne soit jugé, et ce au cas par cas, « actuel » et « proportionnel » à la décision d’expulsion.

Il est donc impossible de systématiser les expulsions sur le cas des fichés S. En effet, la fiche « S » est un outil de surveillance, pas d’appréciation du niveau de dangerosité d’un individu. Un critère beaucoup trop vague pour justifier à lui seul une expulsion.

Le retour d’une vieille intox sur le programme d’Emmanuel Macron

CE QU’ELLE A DIT

La dirigeante du FN a critiqué frontalement la réaction de l’Elysée après l’attaque de Marseille :

« Monsieur Macron s’est contenté de se dire indigné par cet acte barbare, lui qui tirait gloire durant la campagne de ne pas avoir de programme contre le terrorisme. Rappelez-vous le scandaleux “je ne vais quand même pas inventer un programme contre le terrorisme dans la nuit”. »

POURQUOI C’EST FAUX

Certes, Emmanuel Macron a déclaré sur RTL, le 21 avril, lendemain de l’attentat contre des policiers sur les Champs-Elysées : « Moi je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit. »

Mais il est pour le moins trompeur d’isoler cette phrase pour faire croire que le candidat n’avait pas de programme pour lutter contre le terrorisme. Tout d’abord, il en avait bien un. Surtout, cette phrase a été prononcée par le candidat à la présidentielle alors qu’il réfutait l’idée d’amender son programme au gré de l’actualité. La voici replacée dans son contexte :

« Vous voyez, moi quand je parle d’utiliser ce qu’il se passe, ça c’est de la démagogie… Moi je ne vais pas inventer un programme de lutte contre le terrorisme dans la nuit. Ça, c’est de l’irresponsabilité. Ce que veulent ceux qui nous assaillent, c’est la panique, que nous changions chaque jour de propositions et de programmes au gré des circonstances, c’est que nous nous divisions, qu’on arrête la campagne présidentielle. »

Ce n’est pas la première fois que Mme Le Pen manipule les propos d’Emmanuel Macron. Elle l’a notamment attaqué avec cette même phrase lors du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle, au cours duquel la candidate du FN avait multiplié les mensonges.

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