De gauche à droite, les trois lauréats américains du prix Nobel de physique : Barry Barish, Kip Thorne et Rainer Weiss. / HANDOUT / CALTECH

Editorial du « Monde ». Qu’elle est belle, l’histoire saluée par le prix Nobel de physique de cette année ! Avec les Américains Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne, le jury récompense les efforts des scientifiques pour voir l’invisible. En l’occurrence, des ondes étranges venues du ciel, émises il y a plus d’un milliard d’années et qui secouent imperceptiblement la planète, heureusement sans gravité. Un physicien compare cette vibration de l’espace-temps qui nous entoure au tremblement léger d’un morceau de veau en gelée dans les mains d’un serveur.

Première merveille : la prouesse expérimentale. Il fallait être un peu fou, dans les années 1960, pour penser un jour mesurer des distances aussi petites que le millième du diamètre d’un atome, quand tout, autour de l’expérience, cause des déplacements bien plus grands. Même la chute d’un arbre à plusieurs kilomètres fait tressauter l’instrument.

Seconde merveille : l’origine fascinante de ces infimes vibrations, dites « ondes gravitationnelles ». Elles sont émises par deux trous noirs : gros comme trente soleils, ils se tournent autour en une danse périlleuse qui les verra fusionner l’un dans l’autre pour former un nouveau trou noir. Quelque deux à trois soleils disparaîtront dans cette union, engendrant ces fameuses secousses.

Troisième beauté, la figure tutélaire et incontournable d’Albert Einstein et de sa théorie de la relativité générale. C’est lui qui, il y a un siècle, prédit l’existence de tels phénomènes, auxquels il a mis près de vingt ans à croire. Certes, Einstein n’avait nul besoin de cette énième confirmation pour rester au firmament, mais ne boudons pas notre plaisir à le voir à nouveau tirer la langue.

Une nouvelle fenêtre sur l’Univers

Quatrième beauté, presque honteuse à formuler pour de telles découvertes fondamentales : cette recherche sert à quelque chose. Elle ouvre une nouvelle fenêtre sur l’Univers, comparable à l’effet qu’a eu l’utilisation de la lunette astronomique au XVIIe siècle. Ces ondes, différentes de leurs homologues électromagnétiques (lumière visible, rayons X, infrarouges), « voient » l’invisible, comme les trous noirs et peut-être bientôt les étoiles à neutrons et autres objets « tordus ». Ce n’est pas ce à quoi songeaient ceux qui voulaient que ces ondes servent de messagers sûrs pour les communications, mais ce n’est pas si mal.

Enfin, l’histoire est belle aussi car elle est humaine. Tous ses acteurs soulignent l’énergie déployée pour mener à bien cette mission insensée. Les plus anciens, qui bricolaient des prototypes pour convaincre, parfois sous les sarcasmes. Les plus jeunes, qui ont travaillé jour et nuit à la mise au point de ces détecteurs géants. L’aventure est aussi internationale, qui prend ses racines en Europe, se développe aux Etats-Unis, avant que tout ce beau monde se réunisse officiellement, après avoir échangé idées, technologies, étudiants, pendant des années.

Pour qui suit la vie des laboratoires, haute technologie, belle théorie, esprit de collaboration, prise de risque, temps long sont à la fois exceptionnels et banals. Alors, un autre détail nous réjouit. Certes, comme d’habitude ou presque, le jury Nobel a récompensé des Américains, qui, depuis 1901, ont accumulé 40 % des médailles (si l’on se base sur l’origine de l’université). En revanche, pour la première fois, les trois lauréats sont identifiés non par leur université d’origine, mais par une étiquette collective, à savoir la collaboration LIGO/Virgo, du nom des deux expériences, américaine et européenne. Tout un symbole.