Le président de la cour a tenté sa chance en ouvrant le procès Merah par ces mots, lundi 2 octobre : « La justice a besoin, pour être rendue dans les meilleures conditions, de calme. » Devant les « faits terribles » sur lesquels il fallait se pencher – sept crimes commis par Mohamed Merah contre des militaires et des juifs, en mars 2012, à Montauban et à Toulouse –, Franck Zientara avait émis le souhait de voir régner « un climat apaisé et de dignité ».

Une heure après, la dignité volait déjà en éclats, la mère d’Abdelkader Merah essuyant des insultes venues des rangs des familles des victimes, avant d’aller elle-même expliquer aux caméras que « c’est vrai que ce que Mohamed a fait, c’est pas bien, (…) mais il est mort, on ne va pas juger une autre personne qui n’a rien fait ».

Mardi, les accrochages ont été vifs au second jour du procès du grand frère du tueur, qui risque la perpétuité pour complicité d’assassinats. Les interventions incessantes de son avocat, Me Eric Dupond-Moretti, ont ulcéré ceux des parties civiles, qui lui ont reproché de faire « la police de l’audience ». Séance suspendue, convocation dans le bureau du président pour une mise au point, avant une reprise des débats… tout aussi houleuse.

Parcours chaotique

Autre vœu irréalisable qu’avait, d’emblée, formulé Franck Zientara : « L’unique objet de ce procès est de déterminer si les accusés sont coupables des faits qui leur sont reprochés. » Dès le deuxième jour d’audience, il est apparu qu’il s’agissait de plus que ça, lors du long interrogatoire sur la personnalité d’Abdelkader Merah au moment de l’évocation de son parcours chaotique.

Le président a rappelé que l’accusé avait été surnommé « Ben Ben », référence à sa fascination pour Ben Laden après les attentats du 11-Septembre ; il a égrené le casier judiciaire de l’accusé (cinq condamnations, dont deux pour violences sur ses frères Abdelghani et Mohamed), mais aussi certaines de ses turpitudes avec un souci parfois très poussé du détail, en mentionnant sa consommation de whisky par le passé, ou le fait de s’être fait remettre une barre chocolatée lors d’un parloir en prison, ce qui a fait exploser MDupond-Moretti : « Parler d’une barre de chocolat dans une affaire dont vous avez dit qu’il s’agissait de faits terribles, franchement… »

Dernière promesse ambitieuse annoncée par le président de la cour, mardi matin : « La question de l’engagement religieux d’Abdelkader Merah ne sera pas abordée aujourd’hui mais le 13 octobre. » Raté. Avec dix jours d’avance, le thème est déjà au cœur des débats. « Est-ce que ça fait une différence de tuer au nom de l’islam un musulman ou un juif ? » « Votre frère, c’était un bon ou un mauvais musulman ? » « Mohamed repose-t-il en enfer ou au paradis aujourd’hui ? »

Marié par téléphone

« Je ne sais pas ce qu’on exige de vous, s’agace Me Dupond-Moretti, peut-être que vous crachiez sur votre frère, car sinon, c’est que vous êtes complice. » « Je l’aimerai toute ma vie, mais bien sûr que je condamne les actes de mon petit frère », dit Abdelkader Merah. Celui-ci « ne nie pas son engagement religieux, expose son avocat. Il nie le syllogisme disant : “Vous êtes son frère, vous avez les mêmes opinions religieuses, donc vous étiez forcément au courant.” ».

Le ton est aux reproches lorsque les avocats des parties civiles, l’avocat général et parfois même le président évoquent l’islam rigoriste de l’accusé. Ils pointent les moins fréquentables de ses accointances (les gourous islamistes Fabien Clain et Olivier Corel), et lui demandent pourquoi il n’écoute pas de musique, ou pourquoi il s’est marié par téléphone – comme l’y autorise l’islam, assure-t-il –, et non civilement.

Me Dupond-Moretti ramène le débat sur le plan juridique, en s’adressant à son client, qui se dit « fier d’être français, et fier d’être musulman » : « Ce qu’ils veulent vous faire dire, c’est que la loi religieuse est supérieure à la loi de la République. C’est peut-être votre conception des choses, à vrai dire je m’en moque. Etre un islamiste, radical, salafiste, et j’ajouterais même, de la pire espèce, est-ce qu’à votre connaissance c’est interdit par la loi ? Est-ce que, quand on est un islamiste radical jusqu’au-boutiste, on est un assassin ?

– Pas du tout.

– C’est ce qu’on vous reproche.

– J’avais compris. »