Des fils électriques désœuvrés s’échappent des murs en attendant d’être raccordés aux appareils de climatisation. Dans l’air chargé d’odeur de peinture fraîche, la voix grave de Jean-Yves Le Drian résonne dans le vide des salles. En visite au Niger, mardi 3 octobre, l’ex-ministre de la défense est venu évaluer l’état d’avancement des travaux de restauration de cet ancien centre d’instruction pour les blindés de l’armée nigérienne destiné à héberger l’état-major, pour la région Centre, de la « force conjointe G5 Sahel ». Pas besoin d’avoir été, comme l’actuel chef de la diplomatie française, ministre de la défense pour constater que le site militaire de Niamey est en chantier, tout autant que l’est cette force sous-régionale associant des contingents de cinq armées sahéliennes (Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso et Tchad) pour lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.

Les travaux de Niamey engagés en juin ont pris quelques semaines de retard. Il n’y a là au PC du « fuseau centre » qu’une poignée – fraîchement débarquée la veille de Bamako ou Ouagadougou – des 35 officiers et sous-officiers prévus sur le site. La planification de la première opération militaire sous bannière du G5 Sahel avance, nous dit-on. « Mais l’agenda est serré », avertit le ministre.

« La sécurité en Afrique par les Africains »

Fin octobre, le Mali, le Niger et le Burkina Faso seront censés avoir rassemblé chacun 650 hommes pour une opération militaire menée à la croisée de leurs trois frontières nationales contre l’un des groupes djihadistes sévissant dans la région. Pour le moment, seul le Mali a fourni son contingent. « On est en période transitoire », reconnaît un officier français de l’opération « Barkhane », le dispositif français de lutte contre le terrorisme au Sahel. Comme les 18 précédentes opérations militaires conjointes transfrontalières (OMCT) menées ces derniers mois dans la région, les armées des pays concernés et des soldats de « Barkhane » ratisseront les lieux. Mais il sera peut-être un peu tôt pour l’étiqueter 100 % G5 Sahel.

C’est pourtant sur ce type d’opération et autres menus travaux indispensables telle que la rénovation de bâtiments que sera jugée la capacité des cinq pays à être à la hauteur de leurs ambitions et de leurs demandes de financements. « C’est un test important », insiste un diplomate français.

Le projet de force conjointe au Sahel est apparu en novembre 2015 puis il est tombé quelque peu aux oubliettes, avant de ressortir la tête en février 2017 lors d’un sommet africain à Bamako. Depuis, le G5 Sahel, divisé en trois « fuseaux » opérationnels (est, centre et ouest) s’est doté d’un commandant en chef, le général Didier Dacko, ancien chef d’état-major général des armées maliennes. Le quartier général a été installé à Sévaré, au centre du Mali, pays considéré comme le principal théâtre d’opérations et source de déstabilisation de cette zone.

Paris a, dès le départ, salué cette initiative même si ce fut teinté d’une certaine réserve. « La mise en œuvre de cette force conjointe pour riposter aux attaques terroristes est une grande nouveauté, cela va dans le sens de la prise en charge de la sécurité en Afrique par les Africains », a apprécié Jean-Yves Le Drian, lors d’un point de presse à Niamey. A terme, le G5 Sahel permettrait aussi à la France d’alléger son coûteux dispositif « Barkhane » (environ 4 000 hommes) et de se désensabler du Mali. Au-delà, un diplomate français se prend à rêver du succès du G5 Sahel qui servirait « de référence à la réforme des structures de sécurité en Afrique ».

Fenêtre de tir

On en est encore loin et le soutien français ne vaut pas chèque en blanc. Lors de sa visite à Bamako, début juillet, le président Macron avait pris acte de l’engagement des cinq présidents africains réunis autour de lui. Ils affirmaient pouvoir réunir 5 000 hommes dans un premier temps, puis doubler cet effectif qui – déployé sur trois fuseaux – « ferait mieux que la Minusma [l’opération des Nations unies au Mali] pour moins cher ». La mission au Mali engloutit en effet un milliard d’euros par an sans parvenir à éviter une dégradation continue de la sécurité dans le pays.

En juillet, Emmanuel Macron avait toutefois rabattu les prétentions financières du G5 qui demandait, d’entrée, 450 millions d’euros de financement extérieur. Pour Paris, « un budget de lancement de 200 millions d’euros, puis 60 millions par an devraient suffire. Ils n’ont pas besoin d’un sous-marin », glissait-on alors. Mais, à ce jour, seulement une cinquantaine de millions d’euros auraient été réunis. A l’Elysée, on se montrait par ailleurs « circonspect » sur la capacité des pays sahéliens à mobiliser autant d’hommes. La méthode défendue par Paris consiste à avancer pas à pas au fil de l’accomplissement d’objectifs limités mais mesurables, tel que le PC de Niamey.

Sur le plan diplomatique, la France, qui assure la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’ONU au mois d’octobre devrait soutenir un texte dotant le G5 Sahel d’un mandat des Nations unies. Si le G5 Sahel continue d’avancer. « Mais pas question de le placer sous chapitre VII », qui engagerait la responsabilité des autres pays que les Sahéliens, avance une source au Quai d’Orsay. Mardi, à Niamey, le ministre nigérien des affaires étrangères, Ibrahim Yacouba, a d’ailleurs lancé « un plaidoyer pour obtenir des ressources suffisantes et un mandat fort au Conseil de sécurité ». La question du financement de cette force devrait également s’inviter au sommet Union européenne-Union africaine prévu fin novembre à Abidjan. Il revient au G5 Sahel de ne pas rater cette fenêtre de tir.