Christine Rivière a beaucoup aimé le cinéma américain, elle y a puisé les prénoms de ses deux fils, Leroy (prononcé Elroy) pour l’aîné – « C’était dans Fame », dit-elle – et Tyler, pour le cadet. C’était du temps où cette fille de forains cascadeurs travaillait la nuit comme surveillante dans un établissement pour handicapés moteurs et le jour dans des restaurants afin de gagner de quoi élever seule les deux garçons qu’elle avait eus de deux pères différents.

C’était avant qu’elle suive Tyler en Tunisie, se convertisse à l’islam, porte le niqab, s’enthousiasme pour la charia, mette sur son mur Facebook des photos de décapitation et de crucifixion. Avant qu’elle le rejoigne à trois reprises en Syrie où il était devenu « émir » de l’organisation Etat islamique, qu’elle se charge de recruter par le biais des réseaux sociaux des jeunes filles parfois mineures destinées à devenir ses épouses ou à se faire exploser et qu’elle soit « MDR » – morte de rire – devant les attentats de Bruxelles.

Christine Rivière n’a plus besoin d’écran de cinéma, Tyler lui a offert le rôle de sa vie : elle est Mère majuscule de djihadiste.

Devant le tribunal correctionnel de Paris qui la juge, jeudi 5 octobre, pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme, elle répète : « Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour mon fils. » Les cheveux tirés en chignon sévère, le regard hostile, les bras tantôt croisés, tantôt accoudés au box comme au zinc d’un bistrot, Christine Rivière répond sur un ton de lassitude désinvolte aux questions de la présidente, Isabelle Prévost-Desprez.

« Pourquoi votre fils est-il parti en Tunisie ?

– Et pourquoi pas ?

– Qu’est-ce qui vous attire dans la charia ?

– C’est une manière de vivre. Il y a tout dedans.

– La justice aussi ?

– Oui.

– Poser des bombes, tuer des civils, c’est quoi pour vous, Madame ?

– Apparemment, ça fait peur, donc c’est du terrorisme. Mais c’est une sorte de combat.

– Même quand les civils meurent ?

– C’est la guerre, c’est comme ça. »

Si elle a récolté de l’argent en France pour l’envoyer en Syrie, c’était, affirme-t-elle, « pour améliorer l’ordinaire de mon fils ».

« Ce n’était pas plutôt pour financer l’achat de kalachnikov ?

– Vous voyez le mal partout. »

Si elle a joué les facteurs entre la Syrie et la France, c’était « pour rendre service », poursuit-elle. La présidente cite quelques-unes des lettres dont elle était la messagère.

« Il y aura des milliers de Mohamed Merah. La France va être attaquée à cause de ses mécréants.

C’est une lettre de ma belle-fille, elle écrit ce qu’elle veut. »

Isabelle Prévost-Desprez en lit une autre :

« Tue des flics. Des femmes de préférence. Tue. Tue. Tu sors avec un couteau, tu égorges le premier flic que tu croises. Si c’est un Arabe, c’est mieux. Si c’est une femme arabe, c’est le top.

– Vous en dîtes quoi ?

– Je les ai pas lues. »

Le procureur prend le relais. Ses questions sont sobres, précises, redoutables.

« Avez-vous aidé votre fils à partir en Syrie ?

– Non, pas du tout. »

Il exhume le compte rendu d’une conversation sur Skype que Christine Rivière a eue avec son fils dans laquelle elle lui donne le nom et le numéro de portable du passeur qui doit l’attendre à la frontière.

«  Avez-vous aidé des gens à partir en Syrie ?

– Non, jamais. »

Nouvelle lecture du procureur. Christine Rivière évoque avec son fils le cas d’une jeune femme.

« Ça, c’est de la sœur ! Elle, en Syrie, no problem. Elle nous a contactés pour une opération martyre. Elle a déjà tout repéré. Et elle est gentille. 

– Avez-vous mis en contact des jeunes filles avec votre fils ?

– Non. »

Le procureur cite les mots de Christine Rivière : « J’ai trouvé le Skype d’une sœur. Elle a 25 ans, elle vient de Belgique, elle est toute mimi. Elle veut que tu la contactes », dit-elle à son fils. Puis, un peu plus tard : « Elle veut pas de polygamie. Il faudrait la proposer à un autre frère. »

Il lit cet autre message, dans lequel elle raconte sa dernière trouvaille, en Bretagne : « Elle est jeune, elle a 17 ans» Et encore cette conversation qu’elle a avec une autre jeune femme, âgée de 19 ans, qui lui a adressé pour avis la lettre qu’elle veut envoyer à ses parents avant de partir en Syrie. « Tu l’as lue ?, lui demande la candidate au djihad. Oui, elle est très bien », répond Christine Rivière.

« Est-ce que vous vous sentez une responsabilité à l’égard des jeunes femmes qui sont parties en Syrie ? demande le procureur.

– Je n’ai encouragé personne à partir. Ce sont elles qui décident.

– Etes-vous fière de votre fils ?

– J’aime mon fils. Depuis qu’il est musulman, il a un meilleur comportement. »

Le procureur répète, en détachant chaque mot : « Un meilleur comportement. »

« Vous imaginez ce que c’est, de voir ma mère là-dedans à 52 ans ! Elle s’est perdue dans cette histoire de religion »

On en était là, à ne plus savoir ce qui était le plus effrayant, de la froide détermination de la combattante ou du cynisme de la mère maquerelle quand, à la demande de l’avocat de la défense, Thomas Klotz, le fils aîné de Christine Rivière s’est présenté à la barre des témoins. De cet homme, on n’a d’abord vu qu’une montagne de muscles. Leroy est marié, il a deux enfants, un travail. « Je suis heureux, tout ce que j’ai voulu faire, je l’ai réussi. » Il raconte l’autre mère. Celle qui faisait des heures supplémentaires « pour nous payer une paire de baskets ». Celle qui, avant d’aller se convertir en Tunisie, « voulait partir en Inde, à Calcutta, pour s’occuper des gens malades ».

Celle qui courait les hôpitaux et faisait le siège des médecins pour qu’ils soignent la maladie de Crohn dont souffre son frère, Tyler – Christine Rivière s’effondre à cette évocation. Son aîné crie presque : « Vous imaginez ce que c’est, de voir ma mère là-dedans à 52 ans ! Elle s’est perdue dans cette histoire de religion. En Syrie, elle a subi un endoctrinement ! Là-bas, on profite de la faiblesse des gens. Vous pouvez m’en vouloir de croire que ma mère n’est pas du genre à sortir dans la rue et à tuer des gens. Mais ma mère, c’est pas ça ! »

Ce fils-là, dont Christine Rivière était incapable de dire, quelques heures plus tôt, ce qu’il avait fait comme études et ce qu’il exerçait comme métier – « Je me souviens plus », avait-elle dit à la présidente –, se tourne vers elle et lui dit : « Je te promets, maman, je serai toujours là pour toi. Si je dois m’endetter, je serai là. Je te promets, maman. » Mais, déjà, la Mère majuscule reparle de son djihadiste de fils : « Est-ce que je devrais me soigner parce que j’ai la foi et que j’aime mon fils ? », sans voir les sanglots de son aîné, qui pleure la mère tout court.

Réquisitoire et plaidoiries vendredi 6 octobre.