La Banco Sabadell, à Barcelone, le 5 octobre. / PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Le secteur financier catalan ramène les indépendantistes, déterminés à proclamer la sécession dans les prochains jours, à la dure réalité. La cinquième banque espagnole, et deuxième établissement financier catalan, Banco Sabadell, a annoncé, jeudi 5 octobre, le déménagement de son siège social à Alicante. Le conseil d’administration de cette banque née à Sabadell, dans la banlieue de Barcelone, en 1881, a pris cette décision en urgence, après avoir perdu près de 10 % de sa capitalisation boursière entre lundi 2 et mercredi 4 octobre, dans le sillage du référendum sur l’indépendance qui s’est tenu le 1er octobre en Catalogne. Les marchés ont salué cette décision en faisant bondir l’action de 6,16 % jeudi.

CaixaBank, la première banque espagnole en volume d’actifs, pourrait faire de même. Le conseil d’administration, qui devait se réunir en urgence vendredi après-midi, pourrait acter un transfert provisoire de son siège social historique, de Barcelone à Palma de Majorque aux Baléares.

« En trois jours, Sabadell et Caixa Bank ont perdu 3 milliards d’euros en Bourse, ce qui est une saignée pour les actionnaires, rappelle l’économiste Joaquin Maudos, spécialiste du secteur bancaire, professeur à l’université de Valence. Il est probable qu’elles aient aussi constaté des mouvements de dépôts, du fait d’une réaction exagérée des marchés et des clients qui pensent que l’indépendance, et donc la sortie de l’Union européenne, est imminente. Or, tant que l’indépendance n’est pas reconnue, les banques demeurent espagnoles, protégées par le Fonds de garantie des dépôts espagnol et sous le parapluie de la Banque centrale européenne [BCE]. Mais l’incertitude et l’instabilité politique sont néfastes à l’économie. »

Avoir un cadre juridique stable

Dès jeudi, les premières rumeurs d’un déménagement du siège social de CaixaBank ont fait bondir son titre en Bourse. Néanmoins les normes du géant bancaire catalan compliquent la procédure. C’est pourquoi le gouvernement espagnol devait approuver en urgence, vendredi, un décret-loi facilitant le déménagement express des entreprises à l’intérieur de l’Espagne, sans avoir besoin de l’accord de l’assemblée des actionnaires. Dans la foulée, CaixaBank devait aborder la question du transfert de son siège social.

Consciente de possibles répercussions négatives en Catalogne, les banques ont assuré que leur décision répond uniquement à l’intérêt des clients, des employés et des actionnaires et au besoin d’avoir un cadre juridique stable. Mais le camp des indépendantistes n’a pas tardé à réagir. Le maire d’une petite ville catalane, Gironella, membre du parti nationaliste Parti démocratique de Catalogne (PDeCAT), a annoncé immédiatement avoir « retiré 300 000 euros de la banque » en signe de « protestation » et qu’il continuera « la même politique si quelqu’un décide de faire la même chose ».

La députée de la Candidature d’union populaire (CUP), formation d’extrême gauche anticapitaliste qui soutient le gouvernement indépendantiste, Eulalia Reguant, a demandé au gouvernement catalan de boycotter CaixaBank, Sabadell et BBVA, les trois principales banques en Catalogne, et de transformer l’Institut catalan des finances en une « véritable banque publique ». Elle lui a aussi enjoint de prendre le contrôle des ports et aéroports.

Conséquences du « conflit »

Le vice-président du gouvernement catalan, Oriol Junqueras, chef de file de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), a douté qu’il « puisse exister une fuite d’entreprises » et souligné les bons chiffres économiques, que ce soit l’investissement étranger direct, la croissance ou les exportations. « Nous sommes dans une économie globale basée sur Internet », a-t-il relativisé, insistant, comme tous les chefs de file indépendantistes, sur le fait qu’une sécession n’aurait pas de conséquences négatives sur l’économie de la région.

Une opinion que ne partage pas Santi Vila, le ministre régional des entreprises et de la connaissance. Membre du Parti démocrate de Catalogne (PDeCAT, droite nationaliste au pouvoir), il a publié une lettre ouverte dans le quotidien catalan Ara, vendredi 6 octobre, dans laquelle il dit « constater » que les conséquences du « conflit » commencent « à se faire sentir sur l’économie de la Catalogne et de l’ensemble de l’Espagne ». Et celui-ci de demander la suspension de la déclaration d’indépendance, car « elle supposerait la suspension imminente de l’autogouvernement, la possible arrestation de ses promoteurs et, plus grave encore, le début d’une spirale de mobilisation et conflits dans la rue ».

Avant son virage indépendantiste, Convergence démocratique de Catalogne (CDC), ancêtre de PDeCAT, était le parti traditionnel de la bourgeoisie catalane, proche des grandes familles et des milieux d’affaires. La formation se trouve à présent sous la pression des grandes entreprises.

« Préserver les intérêts » des clients

En attendant, plusieurs sociétés ont déjà franchi le Rubicon. En août, la chaîne de nutrition Naturhouse a annoncé son départ à Madrid. Inquiète de « la rupture sociale entre la Catalogne et le reste de l’Espagne », sa direction critiquait « l’absence de préoccupation pour l’économie de la part du gouvernement catalan ».

Cette semaine, l’opérateur de télécommunications Eurona, l’entreprise de biotechnologie Oryzon Genomics et la société de laboratoires et de distribution dentale Proclinic ont tour à tour annoncé leur déménagement dans la capitale espagnole. Le groupe d’assurance Catalana Occidente, présent dans une cinquantaine de pays, pourrait suivre, « en fonction de l’évolution des faits » pour « préserver les intérêts » de ses clients, employés et actionnaires, a-t-il fait savoir.

Le groupe pharmaceutique Almirall a laissé entendre qu’il partirait aussi en cas d’indépendance. Son héritière, Susana Gallardo, conseillère d’administration dans plusieurs entreprises, s’est d’ailleurs filmée en train de voter quatre fois de suite pour dénoncer le manque de garanties du référendum d’indépendance du 1er octobre, un drapeau espagnol sur le dos.