Carlos Nuzman emmené par la police brésilienne, le 5 octobre. / MAURO PIMENTEL / AFP

Le « père des Jeux olympiques » de Rio, en 2016, est en prison, et la honte saisit, une fois de plus, un Brésil gangrené par les affaires de corruption. Jeudi 5 octobre, à l’aube, Carlos Nuzman, 75 ans, président du Comité olympique brésilien et du comité organisateur des Jeux de Rio, a dû quitter sa résidence du quartier huppé de Leblon sous escorte policière pour rejoindre une cellule de quelques mètres carrés.

L’homme, soupçonné de « blanchiment d’argent », de « corruption » et de « participation à une organisation criminelle », aurait contribué à l’achat de votes de membres du Comité international olympique (CIO) afin de faire de l’ancienne capitale brésilienne l’hôte des Jeux. Leonardo Gryner, considéré comme son bras droit, a, lui aussi, été arrêté. Un traitement « dur et inhabituel », selon Nélio Machado, l’un des avocats de M. Nuzman.

Enrichissement soudain et inexpliqué

Placé en détention provisoire dans le cadre de l’opération « Unfair Play », le septuagénaire devra s’expliquer sur une série d’indices accablants, découverts notamment après la perquisition de son domicile, il y a un mois.

Au-delà de l’enrichissement soudain et inexpliqué du prévenu, dont la fortune aurait plus que doublé – passant de 4,2 millions de reais en 2013 (1,1 million d’euros) à plus de 9 millions un an avant les JO –, des seize lingots d’or d’un kilo chacun « logés » en Suisse et de l’équivalent de 480 000 reais (130 000 euros) en liquide découverts à son domicile, M. Nuzman devra éclairer les enquêteurs sur une série d’e-mails signés « Papa » et « Papa Diack » reçus avant et après la désignation de Rio, lors du vote du CIO du 2 octobre 2009, à Copenhague.

« Papa », c’est Papa Massata Diack, ou « PMD », fils de Lamine Diack, ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) et ex-membre influent du CIO, tombé en disgrâce à la fin de 2015 pour une affaire de corruption. Agacé, « PMD » s’enquiert auprès de M. Nuzman de paiements en retard : « Nous sommes vendredi 11 décembre 2009 et ma banque, la Société générale du Sénégal, n’a reçu aucun transfert de votre part. J’ai tenté de parler avec Leonardo Gryner plusieurs fois, mais je n’ai pas eu de réponse. Pourriez-vous vérifier s’il peut me confirmer à 100 % que les transferts ont été effectués à mon adresse à Dakar ou à Moscou », écrit-il.

« Organisation criminelle dotée de plusieurs bras »

Une semaine plus tard, l’homme envoie encore un message réclamant le règlement de 450 000 dollars (384 000 euros) attendus cinq semaines plus tôt. Dans un autre courrier électronique, daté du 1er février 2010, le fils de Lamine Dack réclame enfin, « avec tout le respect [qu’il lui doit] », l’aide de M. Nuzman, pour aller au bout du « processus final ».

En mars 2017, Le Monde révélait des documents transmis par le fisc américain au Parquet national financier, en France, montrant qu’une société appartenant à l’entrepreneur brésilien Arthur Menezes Soares, dit « le Roi Arthur », domiciliée aux îles Vierges britanniques, avait permis de virer 2 millions de dollars à Papa Massata Diack, le 29 septembre 2009, soit trois jours avant l’attribution des Jeux de 2016. Le 2 octobre 2009, jour du sacre de Rio, « PMD » a effectué deux importants virements vers deux enseignes de luxe parisiennes auxquelles il avait l’habitude d’acheter des montres.

Les messages électroniques semblent indiquer que les versements ne se limitaient pas à ces 2 millions. D’« autres paiements substantiels » ont pu avoir lieu, affirme le parquet brésilien. La procureure Fabiana Schneider suspecte aussi que les dessous-de-table n’étaient pas seulement destinés à Lamine Diack et que d’autres sociétés que celles d’Arthur Menezes Soares ont été mises à contribution. « Nous avons affaire à une organisation criminelle dotée de plusieurs bras », a-t-elle expliqué lors d’une conférence de presse qu’elle a tenue jeudi.

Sollicité, Papa Massata Diack a répondu par e-mail au Monde : « Inch’allah, je réserverai mes réponses aux enquêteurs officiels qui daigneront se présenter devant moi au Sénégal. » Visé par un mandat d’arrêt international émis par Interpol, « PMD » reste à Dakar et refuse de se rendre en France.

« SOS le sport brésilien »

Les soupçons de malversations dans l’attribution des Jeux sont renforcés par la conviction du parquet que M. Nuzman était présent à une célébration connue comme la farra dos guardanapos, la fête des serviettes de table. Une sauterie parisienne devenue célèbre après la divulgation de photos où l’on voit Sergio Cabral, alors gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro – condamné en septembre à quarante-cinq ans de prison pour « corruption » –, festoyer, une serviette sur la tête, aux côtés de proches tel son secrétaire à la santé, Sergio Cortes, également mis en cause dans l’affaire.

Cette fête aurait salué avant l’heure la victoire de Rio, selon les enquêteurs. « M. Nuzman était présent lors de cet épisode du 14 septembre 2009, qui eut lieu peu avant les paiements effectués par (…) M. Soares pour M. Diack », affirme Mme Schneider. En cavale depuis un mois, « le Roi Arthur » reste introuvable. Les policiers brésiliens le soupçonnent de se cacher à Miami, où il possède une résidence.

« Quelle honte. SOS le sport brésilien », a commenté sur Twitter la nageuse Joanna Maranhao. Mais, à écouter Mme Schneider, cette affaire est « la rançon du passé ». « Le Brésil n’est plus un paradis pour les corrompus et les bandits », a-t-elle assuré.

Le CIO a fait savoir, dans un communiqué, que sa commission d’éthique, présidée par l’ancien secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, planche depuis le mois de septembre sur le cas de M. Nuzman, membre honoraire de l’institution. « Au vu des nouveaux éléments à disposition, la commission pourrait envisager de prendre des mesures provisoires, tout en respectant le droit de M. Nuzman d’être entendu », précise le CIO.