Les ifs millénaires de La Lande-Patry, dans l’Orne. / G. FETERMAN

Georges Feterman est naturaliste. Auteur des Plus Vieux Arbres de France, un patrimoine national (Museo, 192 p., 29,5 euros), il préside l’association ARBRES qui agit, en France, pour la préservation des arbres remarquables, et dont le congrès a lieu à Bordeaux les 6, 7 et 8 octobre.

Les sociétés humaines auraient-elles pu vivre et se développer sans exploiter la forêt ?

Dans les grandes forêts tropicales et équatoriales, l’exploitation est relativement récente. La menace de leur destruction ne date que de deux ou trois siècles. A l’ouest de l’Europe, les grandes transformations remontent à 10 000 ans. Au lieu de cueillir et de chasser, les hommes de cette époque domestiquent les animaux et défrichent pour planter. Ils se « dénomadisent » et transforment radicalement leur environnement. La grande mutation n’a pas été la révolution industrielle !

Les hommes ont enlevé beaucoup de forêts, mais ont laissé des bois pour ce dont ils avaient besoin : le feu, l’usage domestique, la construction. Puis, des Romains jusqu’au XVe-XVIe siècle, un véritable massacre a lieu. Au point que la forêt française régresse et disparaît presque au Moyen Age. Ce qui l’a sauvée, ce sont les chasses royales et seigneuriales, et les bosquets préservés par les paysans pour leurs usages. Sully, le ministre d’Henri IV, plante beaucoup, et Colbert, le ministre de Louis XIV, replante massivement, essentiellement pour la Marine royale.

Au XVIIIe et surtout au XIXe siècle, on reboise aussi les massifs montagneux. Ainsi que les Landes, qui étaient marécageuses, et qui deviennent sous Napoléon III la plus grande forêt d’Europe.

Le chêne des Hindrés, dans la forêt de Brocéliande, en Ille-et-Vilaine / DR

De nos jours, les arbres, avec leur important réseau racinaire, ne pourraient-ils limiter les conséquences, souvent dramatiques, des débordements des cours d’eau ?

Au XIXe siècle, on a cru que l’homme pouvait tout maîtriser, tout réguler. Alors on a enlevé les aulnes ou les frênes des bords des rivières en en modifiant le tracé. Depuis, on a compris qu’il fallait arrêter… Et replanter. Il y a des arbres adaptés au milieu humide. Et l’idéal, c’est de mêler l’agriculture aux plantations boisées : un champ, une rangée d’arbres… selon les principes de l’agroforesterie, une solution agricole raisonnable. On voit ainsi les haies réapparaître, avec des fleurs, des fruits pour les oiseaux, qui vont pouvoir nicher en hiver.

On constate aussi une évolution récente vers une meilleure préservation. Nous avons ainsi conçu le label « Arbre remarquable de France ». Notre idée est que faire connaître un arbre le protège. Dans 99 % des cas, ça marche. En créant un événement autour d’un chêne de 500 ans ou 1 000 ans, on déclenche un réflexe de « gentil chauvinisme », de fierté. L’arbre a traversé le Moyen Age, la Renaissance, la Révolution… Et c’est aussi une porte d’entrée pour parler des forêts ou de l’agriculture.

Les arbres plantés massivement sont aujourd’hui victimes de maladies ou attaqués par des parasites. Y a-t-il des solutions ?

L’essentiel des arbres des parcs et jardins sont venus d’ailleurs, y compris… les platanes et les marronniers. De même les chênes, voire les oliviers. Il n’y a pas d’arbres « bien de chez nous ». Au XVIIIe et surtout au XIXe siècle, on a mis partout des paulownias, des catalpas, des sophoras ou des séquoias arrivés d’Amérique ou d’Asie. Les oliviers, souvent issus de la même souche génétique, ont été plantés par millions. Evidemment, les parasites éventuels se régalent.

Et planter des arbres génétiquement modifiés pour résister à ces maladies n’aurait qu’un temps, jusqu’à la prochaine épidémie. Pourtant, la situation des marronniers, atteints en Europe par une chenille ravageuse, ne représente qu’un moment à l’échelle de l’histoire du monde végétal. La maladie des ormes, la graphiose, qui s’est déclenchée il y a plusieurs dizaines d’années, finira par régresser, faute… d’ormes. Le plus inquiétant, c’est le champignon qui touche le frêne, car il se déplace. A son passage, les frênes meurent les uns après les autres.

Qu’en est-il de la régénération des arbres grâce au feu ?

C’est là aussi une question d’échelle de temps. Des arbres des régions chaudes régénèrent des forêts à partir de graines qui éclatent au moment des incendies. Les plus connus sont les séquoias, mais aussi beaucoup d’espèces méditerranéennes comme le pin d’Alep. Ca peut permettre à la forêt de redémarrer, mais ça va mettre quarante-cinquante ans. Et c’est vrai que le résultat d’un incendie dans un site touristique peut être déprimant. Mais dans trois ans, celui-ci sera déjà tout vert. L’inquiétude, maintenant, tient aux changements climatiques. Les forêts méditerranéennes jouent un rôle protecteur. Si elles sont durablement détruites, un cercle infernal de désertification risque de se mettre en place.

Le tilleul d’Olby, dans le Puy-de-Dôme, planté du temps d’Henri IV. / G. FETERMAN

Pensez-vous que les élus ont une propension à appliquer un « principe de précaution » excessif ?

Les élus de terrain sont tétanisés par la question de la sécurité. En France, les accidents d’arbre sont pourtant extrêmement rares. Quant à l’élagage, les plus pointus des spécialistes le déconseillent tout simplement. Mais il faut raison garder.

Un de nos combats concerne la loi 673 du code civil. Ce texte ne considère pas l’arbre comme un être vivant, mais comme un objet de propriété. On a ainsi le droit de faire réduire les branches et les racines d’un arbre dépassant chez soi. Mais ce raisonnement pourrait être inversé grâce à une légère modification : il faudrait que la loi l’interdise si l’arbre est là depuis longtemps, s’il est épanoui. Dans la décision du juge, l’arbre doit être considéré comme un être vivant. Tel est l’objet de notre démarche : que les arbres remarquables soient reconnus comme un patrimoine. Nous sommes soutenus par des personnalités comme Alain Baraton, Allain Bougrain-Dubourg, Francis Hallé ou Erik Orsenna.