Raquel Garrido, porte-parole bénévole de La France insoumise, est avocate dans la vie. Elle a été mise en cause cette semaine par Le Canard enchaîné pour des cotisations sociales non payées depuis six ans. L’hebdomadaire parlait d’une somme de « 32 215 euros » due à la Caisse nationale des barreaux.

Dans un premier temps, la Caisse nationale des barreaux a démenti des informations « inexactes » à propos de « ses missions de recouvrement ». Mais sans mentionner le nom de Mme Garrido et en invoquant le secret professionnel. Le barreau de Paris a ensuite ajouté qu’un échéancier pour payer les arriérés de cotisations avait été approuvé par les deux parties.

L’Agence France-Presse, qui avait relayé le communiqué de la Caisse nationale des barreaux, a précisé que Raquel Garrido n’avait « pas donné suite » à ses demandes de réaction. Au Lab d’Europe 1, elle a seulement précisé « que c’est bien d’elle dont parle le communiqué ». Pas plus de détail, de mise au point, de justification. Sur Twitter, où elle est très active, elle n’a mentionné l’histoire qu’en retweetant l’article du Lab.

« Beaucoup de mensonges sont dits sur moi »

Pour entendre ce que Raquel Garrido avait à dire des accusations du Canard enchaîné, il fallait suivre la story Snapchat de Jérémy Gisclon, alias Jeremstar, chroniqueur et agent de communication dans le monde de la télé-réalité, et accessoirement camarade de l’intéressée sur le plateau de « Salut les Terriens », l’émission de Thierry Ardisson sur C8.

Dans la suite de microvidéos sur le quotidien de Jeremstar, on tombe sur les deux chroniqueurs dans les coulisses de leur émission. Le sujet est abordé en rigolant – « Je suis désolé, Raquel, moi, je paye mes cotisations retraites » – et ça permet à Raquel Garrido d’aborder, face caméra, les « inexactitudes sur moi ». « La vérité, c’est qu’il y a beaucoup, beaucoup de mensonges qui sont dits sur moi », dit-elle :

« L’intrusion dans la vie privée, c’est peut-être quelque chose d’habituel dans le monde de la télé-réalité, mais c’est pas habituel dans la vie quotidienne et c’est pas forcément justifié. Je ne suis pas une actrice de téléréalité.
“Le Canard enchaîné”, c’est une icône de la presse française (…). Ça fait cinq fois qu’ils parlent de moi, ça fait cinq fois qu’ils se trompent (…). C’est moins drôle de dire du mal de moi que de dire du mal de ceux qui disent du mal de moi, tu vois, ça demande des neurones et de la déontologie de dire que “Le Canard enchaîné” s’est trompé. »

Ils parleront aussi des filles de Raquel Garrido, qui suivent le Snapchat de Jeremstar, « de maillots de bain glamour » et de maquillage. Mais l’essentiel, l’information qui est passée, « c’est que tu payes tes cotisations retraites ». Et que Le Canard enchaîné, pas le média le plus réactif en ligne, « s’est trompé ».

Un « snap-démenti » vaut mieux qu’un communiqué à l’ancienne

Ceux qui ont d’abord écouté cette information étaient les millions de personnes abonnées au compte Snapchat de Jeremstar. On parie qu’il n’y avait pas, jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de journalistes politiques.

Jérémy Gisclon a décrit son métier comme de « l’influencing viral Internet », trois mots qu’on peut traduire par : trouver un public pour les pubs des marques en ligne et trouver des débouchés (artistiques, financiers) pour la chair à canon de la télé-réalité, sans passer par les circuits habituels de la communication.

C’est le même processus pour Raquel Garrido. Pourquoi répondre à la polémique avec un communiqué classique aux agences de presse ? Ou réagir auprès d’un journaliste politique, qui publierait votre réponse mais risquerait de vous poser des questions, de chercher des incohérences ? Pourquoi publier un tweet si tout le monde peut vous interpeller et vous troller ?

Autant réagir aux accusations de la presse sans passer par les circuits habituels de la presse. Profiter de ce média alternatif qu’est Snapchat, et du million d’abonnés de son collègue, pour faire résonner son message. La finalité est la même. L’information va circuler, même si elle passe d’abord par un médium jeune, où la politique n’est pas beaucoup traitée. Elle va éventuellement arriver vers les médias traditionnels plus vieux (comme ici !).

Stratégie de LFI

Cette volonté de contourner la presse traditionnelle – à propos du Canard enchaîné, Raquel Garrido dit : « Moi, je n’ai même pas envie de parler d’eux » – ne doit rien au hasard. C’est une tactique défendue et appliquée par la direction de La France insoumise. Si leurs cadres et porte-parole sont bien présents aux rendez-vous médiatiques « vieille école » – émissions de radio, plateaux de télé, pages politiques de journaux et magazines – pour occuper l’espace et défendre leur politique, la nouvelle stratégie de Jean-Luc Mélenchon, comme nous l’écrivions vendredi matin, est d’avoir ses propres médias pour diffuser son message et s’affranchir des journalistes, qu’il considère souvent comme hostiles.

Ce « snap-démenti » survient alors que va se lancer Le Média, une webtélé qui se présente comme « coopérative, indépendante, pluraliste, humaniste et antiraciste, féministe, écologiste et progressiste ». A sa tête, Sophia Chikirou, conseillère en communication de l’ancien candidat à la présidentielle, qui gère aussi la future « chaîne de propagande politique » de Jean-Luc Mélenchon sur YouTube. Ce qui ne pose pas de problème de conflit d’intérêts, selon elle, puisque sur Le Média, on pourra critiquer M. Mélenchon. Par contre, précise-t-elle :

« Si vous voulez du “Mélenchon bashing”, vous irez sur TF1, France 2 ou BFM-TV. »