Dans l’Hémicycle, il avait à peine été remarqué. Le 24 juillet, Bastien Lachaud, député La France insoumise (LFI) de Seine-Saint-Denis, défendait une motion de rejet préalable à la loi de moralisation de la vie publique. A la tribune, il avait pourfendu « l’oligarchie » et « l’argent roi » dans une démonstration politique sur la « moralisation » sauce insoumise, assez éloignée du contenu du texte en débat.

Il y était à peine question de la fin de la réserve parlementaire ou de l’interdiction des emplois familiaux, pourtant au centre de la loi. « Vous profitez de la tribune, mais ce n’est pas le sujet », s’était alors agacé le député Les Républicains (LR) de la Manche Philippe Gosselin.

Quasi hors sujet à l’Assemblée, son intervention est néanmoins devenue extrêmement populaire sur YouTube. Plus de 310 000 personnes ont ainsi vu tout ou partie des vingt-cinq minutes de son discours posté sur la plateforme vidéo par un militant insoumis. C’est près de deux fois plus que le discours contre les ordonnances qui avait permis au député (LFI) du Nord Adrien Quatennens de se faire un nom au Palais-Bourbon.

Dans la foulée du succès de la campagne numérique de Jean-Luc Mélenchon, l’utilisation des réseaux sociaux est devenue un axe majeur de la stratégie des députés insoumis à l’Assemblée nationale. Depuis fin juin, ils disposent de leur propre chaîne YouTube où se succèdent des extraits de leurs interventions dans l’Hémicycle et en commission. Démarche imitée par d’autres chaînes militantes, comme celle qui a diffusé le discours de M. Lachaud.

« Etre entendu au-delà de l’Hémicycle »

Derrière cette stratégie se trouve l’artisan du succès de la campagne numérique de Jean-Luc Mélenchon pendant la présidentielle, Antoine Léaument. Il a passé son été à télécharger les extraits d’intervention des députés LFI afin de les relayer sur les réseaux sociaux.

« C’est un moyen de diffuser à l’extérieur ce qu’ils font à l’Assemblée nationale », explique celui qui est aujourd’hui chargé de la communication numérique de M. Mélenchon. « On fait un travail de fond mais on est aussi des représentants. On doit être entendu au-delà de l’institution. Ce qui se passe ici ne doit pas être coupé de l’extérieur », ajoute la députée de Paris, Danièle Obono.

« On a été assez surpris par la réaction. Le travail de parlementaire, ce n’est pas une chose grand public qui a priori intéressait les gens », note M. Léaument.

Après trois mois d’existence, la chaîne compte plus de 13 800 abonnés (637 000 vidéos vues). « Pour YouTube, c’est pas top, mais pour une chaîne politique c’est énorme », assure M. Léaument. A titre de comparaison, celle de La République en marche (LRM), qui compile à la fois des vidéos de la campagne d’Emmanuel Macron et des spots où des députés défendent les mesures du gouvernement, totalise 23 900 abonnés (2,8 millions de vues), alors qu’elle a été créée plus d’un an plus tôt.

Sur la page Facebook du groupe LFI, une simple intervention d’Adrien Quatennens en commission contre les ordonnances, a été vue plus de 380 000 fois. « Plus il y a de gens à s’intéresser à l’Assemblée nationale, mieux on se porte », s’enthousiasme le député (LFI) du Nord Ugo Bernalicis, qui y voit un moyen de « repolitiser les élections législatives. »

La forme en vient à influencer le fond

Ces vidéos sont même devenues centrales dans le travail des députés insoumis. Leurs collaborateurs ont été formés pour prendre le relais de M. Léaument afin d’isoler les images. Et chaque minute de temps de parole dans l’Hémicycle est exploitée par les élus.

En conséquence, la forme en vient à influencer le fond. « Nos députés font des interventions en pensant qu’elles vont avant tout être filmées », reconnaît sans peine M. Léaument. « On les travaille beaucoup », explique Mme Obono, dont un collaborateur à mi-temps est chargé de leur diffusion sur les réseaux sociaux.

« Il faut faire comprendre ce qui est technique, le traduire en français », poursuit-elle. Quitte à ce que dans l’Hémicycle, les prises de parole se placent davantage sur le terrain des idées générales que de l’amendement en cours d’examen. Ce qui a tendance à irriter leurs adversaires.

Derrière l’objectif affiché de « faire connaître le fonctionnement de l’Assemblée nationale », comme l’explique Mme Obono, ou de faire de « l’éducation populaire », selon M. Léaument, c’est surtout une tribune directe pour la diffusion du programme de LFI.

Sur la chaîne YouTube, très peu de mise en contexte, aucun lien vers le texte de loi. « On manque de temps pour le faire », se défend M. Léaument tout en n’envisageant pas d’y « faire de la pub pour les idées des autres ». LFI y trouve là, comme avec la création de sa webtélé « Le Média », une nouvelle manière de contourner les circuits traditionnels de l’information pour faire passer ses messages.