D’un simple bouton, le héros peut sortir une balle de sa poche, à n’importe quel moment, dans une interprétation très libre du golf. / Sidebar Games

Une oie se plante devant le trou numéro 1, alors que le héros s’apprête à tenter une approche. L’entraîneur s’arrête :

« – Oh, nous avons un spectateur.
– Allons au prochain trou…
– Elle veut juste voir si tu vas réussir ton putt. Elle aura l’air bête comme une oie si tu y parviens.
– Mais c’est une oie…
– Autant réussir alors. »

Dans Golf Story, il y a des oies ; il y a aussi des canards, une armée de squelettes, des taupes kleptomanes, un archéologue, des hommes préhistoriques ; une bande de joueurs de frisbee, des tartes aux pommes, un manoir hanté, un four qui cuit trop ; des cameramen envahissants, un portefeuille volé ; une tempête de neige, des tondeuses à gazon, des alligators, un manoir BCBG, des ballons de plage. Et, au milieu de cet inventaire à la Prévert, des balles de golf, plein de balles de golf, que le héros sort de sa poche, d’un bouton, à volonté, prêt à casser un baril, harceler un crabe, ou dans un moment de fantaisie, viser un trou.

Golf Story Release Trailer
Durée : 01:40

Bouche-à-oreille formidable

C’est ainsi. Golf Story n’est pas un simple jeu de golf. C’est un jeu d’aventures loufoque et fantaisiste, rempli d’humour, de clins d’œil et de facéties. C’est aussi, accessoirement, la dernière révélation en date du monde du jeu vidéo.

Depuis sa sortie sur la boutique dématérialisée de la Switch, le 28 septembre, cette petite production indépendante s’est hissée à la première place des ventes hebdomadaires aux Etats-Unis, et à la cinquième du classement mensuel en Europe – devant FIFA 18.

Le tout sans la moindre campagne de communication, mais avec un bouche-à-oreille inarrêtable et des retours critiques unanimes : « Juste adorable », pour Kotaku ; « délicieux », pour Polygon ; « remarquable », pour Venture Beat. C’est simple, il a conquis à peu près tous ceux qui s’y sont mis.

Jouer sur un green, c’est bien ; dans le jardin d’une propriété, c’est mieux. / Sidebar Games

Délicieusement « 1990s », mais pas trop

Une grande partie du charme de Golf Story vient de son univers délicieusement « 1990s ». Son esthétique évoque naturellement l’époque de la NES et de la Super Nintendo – on pense autant aux jeux de rôle classiques Secret of Evermore, Earthbound, Breath of Fire… qu’à des titres comme Super Tennis ou bien sûr Mario Golf, son plus proche équivalent connu.

Surtout, Golf Story ne se contente pas seulement d’avoir le look d’un jeu rétro, il en a aussi l’esprit, de certaines musiques naïves et entêtantes à ses décors variés et ubuesques, comme un green à l’âge préhistorique ou un autre en bord de plage, ou un troisième monde balayé par le blizzard.

« Golf Story » est construit comme un jeu d’aventure, avec plusieurs mondes à visiter. / Sidebar Games

Pourtant, ce ne serait pas faire honneur à la petite production de Sidebar Games, un studio australien de deux joueurs, que de la réduire à un simple jeu hommage. S’il est emprunt de références évidentes aux années 1990, Golf Story a aussi une saveur qui lui est propre.

Celle-ci se retrouve dans sa thématique sportive, rarissime à l’époque des grands RPG médiévaux fantastiques à la japonaise, dans sa bande-son délicieusement jazzy, ou encore de son humour aussi craquant que subtilement grinçant.

Le gai misanthrope

Car à sa manière, Golf Story n’est pas le jeu qu’il paraît être. Pas une simulation sportive, bien sûr. Mais pas un simple jeu de rôle léger à l’ancienne. Sous ses paysages vert citron ou vermillon, ses mélopées MIDI guillerettes ou dépaysantes, Golf Story dégage une subtile aigreur. Si c’était une chanson, ce serait Alone again, de Gilbert O’Sullivan – la chanson sur laquelle on dodeline gaiement, tant qu’on n’en a pas compris les paroles.

Le héros lui-même n’en est pas vraiment un. Loin des codes du J-RPG, il n’est ni élu ni choisi ni surdoué. C’est un joueur à la technique bâtarde que chaque personnage, l’un après l’autre, ne va considérer qu’avec dédain, et exploiter avec indifférence, comme un enfant trop docile dans une société sans remords. Derrière l’émerveillement visuel et le charme de la nostalgie, Golf Story dévoile un peu de son suc amer : un jeu enchanteur sur un monde désenchanté.

A travers cet apprenti mal conseillé, la production de Sidebar Games livre un regard distant et acerbe sur la société et ses faux-semblants, et notamment ceux d’adultes constamment écrits au vitriol. On rit autant qu’on grince de l’imposture de ces personnages, de l’entraîneur paresseux au directeur de club cupide en passant par la star corrompue ou l’ex-compagnonne vénale, tous plus risibles qu’indécents les uns que les autres.

De leur histoire, on ne sait que peu de chose, si ce n’est ce que le jeu veut bien parfois en laisser deviner : solitude, séparation, culpabilité.

Les motivations des personnages secondaires sont souvent bassement intéressées, ou dans le meilleur des cas, troubles. / Sidebar Games

Sans flirter avec le génie d’Undertale, Golf Story parvient même à révéler le caractère des personnages dans la manière dont ils jouent. Chaque coup d’un adversaire sur un green révèle un peu plus de sa personnalité, et de ses failles. Dans son univers fantastique et coloré, le green est un miroir tendu à une société « vérolée ».

Riche et attachant

Pourtant, si l’ont y revient avec tant d’entrain, c’est qu’à cette galerie de personnages faillibles, il sait opposer la magie du jeu vidéo. Celle-ci passe d’abord par toute une faune ludique et rafraîchissante. Dans le théâtre sportif de Golf Story où se croisent compétiteurs vantards, aristocrates boursoufflés et charlatans en tout genre, les animaux apportent une touche de légèreté acidulée : taupes qui kidnappent des balles, tortues qui les font rebondir, canards qui les déplacent, ou encore crabes qui éclatent des ballons de plage.

Et puis, il y a ces quêtes délicieusement absurdes, où de troc en troc, de bouteille d’eau en bonbon ; une montre cassée finit par permettre de décrocher un entretien avec un golfeur vedette. Et ces multiples facéties décalées, comme des concours de frisbee, une séquence de tondeuse à gazon, ou même une partie de jeu vidéo de golf dans un jeu vidéo de golf.

« Golf Story », un jeu de golf dans lequel des hommes préhistoriques ont conçu un golf au-dessus de restes de dinosaures. Normal. / Sidebar Games

C’est cette concentration surprenante d’intentions qui le rend si riche et attachant. Au point qu’on lui passe ses erreurs de débutant, comme un système de jeu dont on ne comprendra jamais précisément toutes les subtilités. Ou son ergonomie désinvolte, qui ne permet pas de recommencer un parcours mal embarqué ni de recommencer une épreuve sans lire à nouveau d’interminables dialogues – en anglais, non traduits qui plus est.

Malgré tout cela, tous ces défauts de jeunesse, Golf Story parvient à attendrir. Jeu artisan, jeu hommage, jeu amer et jeu vibrant, il est tout ça à la fois. Et par un joli retournement de situation, à force de raconter l’histoire d’un golfeur pas bien doué que personne ne veut vraiment aider, il donne l’envie sincère de l’aimer, de le soutenir, et la petite satisfaction amicale, non sans avoir l’air bête comme une oie, de le voir réussir à faire son trou.

En bref

On a aimé

  • Un monde loufoque et attachant
  • Le charme et l’humour des petites productions
  • Plein de petites idées décalées
  • Un système de jeu simple mais plein de subtilités
  • Douze/quinze heures d’aventure, une longueur adaptée
  • Un mode deux joueurs bienvenu

On n’a pas aimé

  • Le système de jeu mal expliqué
  • Quelques épreuves redondantes
  • Moins foufou qu’un Undertale

C’est pour vous si

  • Vous êtes nostalgiques des RPG des années 1990
  • Vous aimez les aventures entraînantes et loufoques
  • Vous êtes une oie

Ce n’est pas pour vous si

  • Vous ne lisez pas l’anglais
  • Vous n’aimez pas les jeux bavards
  • Vous ne connaissez pas le vocabulaire basique du golf

La note de Pixels
Eagle.