L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Avant de se convertir au ­cinéma, Stephan Komandarev était pédopsychiatre. Il a, depuis, réalisé une poignée de films dont les sujets témoignent d’une certaine conscience sociale et d’un humanisme chevillé au corps. En 2002, son documentaire Bread over the Fence se déroulait entre deux villages bulgares où vivent en bonne entente des communautés catholique, orthodoxe et musulmane. Douze ans et quelques films plus tard, The Judgment (2014) mettait en ­parallèle, sur le mode de la fiction, la douloureuse odyssée des réfugiés syriens dans l’Europe actuelle avec celle des dissidents communistes au temps du rideau de fer.

Présenté en mai à Cannes dans la section Un certain regard, Taxi ­Sofia se passe, comme le suggère son titre, à Sofia dans des taxis. On embarque dans la voiture d’un petit entrepreneur provisoirement reconverti en chauffeur de taxi, un bon gars qui attend le déblocage d’un prêt pour donner une nouvelle impulsion à son ­entreprise et pouvoir assurer un bel avenir à sa fille. Il a rendez-vous avec son banquier, et lorsque celui-ci veut le faire chanter, il sort un revolver, le tue et se tire ensuite une balle dans la tête.

Corruption et violence

Nous voilà projetés dans une autre voiture où, tandis que les ­radios s’emparent du fait divers, invitant les auditeurs à s’exprimer sur le sujet, un couple odieux ­malmène le vieux chauffeur et le brutalise plus encore lorsque ­celui-ci confie, comme pour s’excuser d’exister, qu’il vient de perdre son fils. Alors que l’assassin est suspendu entre la vie et la mort et le pays à son sort, le film entre dans la nuit qui vient.

D’un taxi à l’autre, le tableau d’une nation au bord de l’implosion s’esquisse, une Bulgarie gangrenée par la pauvreté, la corruption et la ­violence. Entre l’étudiante qui se prostitue, la meute de jeunes abrutis saturés d’alcool et de ­testostérone, le salaud parti faire fortune à l’étranger et les ­propos de café du commerce qui s’échangent à la radio, l’écueil du catalogue de typologies sociologiques n’est pas toujours évité.

Mais le mouvement des voitures lancées dans la nuit, l’intérêt réel pour les personnages, le parti pris de filmer chaque scène en plan-séquence, innervent l’ensemble d’une pulsation généreuse, qui se fait plus sensible au fur et à ­mesure. Plus on s’enfonce dans la nuit, moins les situations sont ­réductibles à un principe de démonstration, plus elles surprennent et finissent par émouvoir. A partir d’un dispositif si minimaliste, ce n’est pas là le moindre des exploits.

Taxi Sofia - Bande Annonce Officielle
Durée : 01:51

Film bulgare de Stephan Komandarev. Avec Vassil Vassilev, Ivan Barnev (1 h 43). Sur le Web : www.rezofilms.com/distribution/taxi-sofia