L’audience s’est achevée à 4 heures et demie du matin au tribunal militaire de Yaoundé, capitale du Cameroun. Lundi 9 octobre, comme depuis trois ans, Me Abdoulaye Harissou n’a cessé de clamer son innocence. Accusé d’« outrages au président de la République », « hostilité contre la patrie et révolution », « assassinat », « détention et port illégal d’armes et de munitions de guerre », ce notaire âgé d’une soixantaine d’années risquait la peine de mort.

Mais, à la surprise générale, le juge a requalifié les faits d’accusation en « non-dénonciation » et « tentative d’outrage au président de la République ». Une infraction pour laquelle l’ancien président de la Chambre des notaires du Cameroun risque tout de même plusieurs années de prison.

« Ce n’est que le résultat de l’absence d’éléments de preuves. L’accusation a vu, en dehors du procès-verbal d’enquête préliminaire, toutes ses pièces à conviction rejetées. L’accusation n’ayant pas de témoins, le tribunal a dû requalifier les faits », souligne Me Mbuny, l’un des avocats d’Abdoulaye Harissou qui assure que son client « n’a été ni de près, ni de loin mêlé aux activités » d’Aboubakari Siddiki. Ce présumé chef rebelle est accusé d’avoir préparé un coup d’Etat en 2014 contre le régime de Yaoundé en complicité avec Abdoulaye Harissou, qu’il considère comme un mentor.

Renverser le président Paul Biya

Tout remonte au 27 août 2014. Ce jour-là, Abdoulaye Harissou est convoqué par les services du gouverneur à Maroua, dans la région de l’Extrême-Nord, où il réside et exerce en tant que notaire. Inquiet, il alerte son épouse. Sur les lieux, Me Harissou est interpellé par les agents de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), qui le transfèrent à leur direction, à Yaoundé.

Dix-huit jours plus tôt, les services de renseignement camerounais avaient arrêté à Douala, capitale économique, Aboubakari Siddiki, président du parti politique Mouvement patriotique du salut camerounais (MPSC). Ils avaient emporté un ordinateur, huit téléphones portables et douze cartes SIM lui appartenant.

D’après l’ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi, les investigations auraient prouvé qu’Aboubakari Siddiki a effectué des voyages à Bangui dans le but de nouer des relations avec des rebelles afin de renverser Paul Biya, 84 ans, président de la République du Cameroun depuis trente-cinq ans.

« La mise en exécution de ce plan devait se faire avec la bénédiction de rebelles soudanais, tchadiens et centrafricains, tous regroupés en République centrafricaine avec leurs chefs, le général Bachar, Ali Dassara et le colonel Adams », détaille l’ordonnance.

Selon ce document, pour mieux peaufiner leur plan, Aboubakari Siddiki aurait rencontré Michel Djotodia, président centrafricain de l’époque, tandis qu’Ali Garba, un autre présumé rebelle, réclamait 200 millions de francs CFA (305 000 euros) à Me Abdoulaye Harissou. Une somme qui devait servir à financer la rébellion. Des accusations que le notaire a toujours réfutées.

« C’est un petit frère »

Dans une vidéo publiée sur la page Facebook du lanceur d’alerte camerounais Boris Bertolt mercredi 11 octobre, on y voit le notaire répondre aux questions des enquêteurs de la DGRE qui lui demandent s’il connaît Aboubakari Siddiki, présenté comme l’un des organisateurs des attaques perpétrées dans la région de l’Est du Cameroun, frontalière avec la Centrafrique.

« Je connais Aboubakary Siddiki Bouba. C’est un petit frère. Je connais bien son père. Je sais qu’il est président d’un parti politique. Mais, je n’ai rien organisé avec lui », répond le notaire assis derrière une table sur laquelle sont placés un dictaphone et une bouteille d’eau minérale.

Il assure qu’il n’a appelé la Centrafrique que pour contacter l’un de ses clients qui lui avait proposé de recruter des marabouts au Mali et au Niger afin de venir en aide à Marafa Hamidou Yaya, son ami d’enfance et ancien ministre d’Etat chargé de l’administration territoriale et de la décentralisation. L’ancien proche de Paul Biya a été condamné en septembre 2012 à vingt-cinq ans de prison pour « coaction de détournements de fonds pour l’achat d’un avion présidentiel ».

Au fil de leurs conversations, lorsque Abdoulaye Harissou se rend compte que son client s’est embourbé dans des histoires de « rébellion », il s’en éloigne.

Trois journalistes accusés

Informés, le journaliste Baba Wame et ses deux confrères Rodrigue Tongue et Félix Cyriaque Ebole Bola sont accusés de « complicité de tentative d’outrage au président de la République ». Il leur est reproché de n’avoir pas « averti les autorités militaires administratives ou judiciaires, d’informations de nature à nuire à la défense nationale ». Le présumé rebelle Aboubakary Siddiki quant à lui risque toujours la peine de mort.

Pour les proches de Me Abdoulaye Harissou, père de cinq enfants, c’est sa fidélité à l’ancien ministre d’Etat qui est la cause de tous ses ennuis. « Me Harissou a toujours déclaré qu’il assume son amitié avec Marafa et qu’il s’agit d’une amitié saine, bien que certains ne la voient pas d’un bon œil. Il ne fait pas de politique et ne comprend pas pourquoi on veut créer une suspicion, faisant croire qu’il est celui qui véhicule les messages et écrits de Marafa », s’agace MMbuny, son avocat. Le procès a été renvoyé au 18 octobre pour réquisitions du commissaire du gouvernement et plaidoiries des avocats.