Une dizaine d’enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance financière ont mené une série de perquisitions tout au long de la journée de mardi 10 octobre, à l’état-major des armées et auprès d’un prestataire fournissant des avions gros porteurs à la location pour les opérations extérieures de la défense. Des saisies ont été opérées sur des serveurs et des ordinateurs du service de soutien des opérations aériennes, CSOA, le centre spécialisé de l’état-major, situé à Villacoublay.

L’enquête, dont la portée précise n’est pas connue à ce jour, est conduite sous la direction du parquet national financier, qui a été saisi avant l’été par la Cour des comptes. Selon les dernières informations obtenues par Le Monde, la ministre Florence Parly a elle aussi saisi la justice, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, qui enjoint toute autorité constituée ayant connaissance d’un crime ou d’un délit d’en informer sans délai le procureur de la République.

Marché juteux

En cause : les conditions d’exécution du marché public passé en 2015 par la défense pour la sous-traitance du transport stratégique militaire (soit les vols entre la France et l’étranger), confié à la société française ICS. Un deuxième contrat, dit SALIS, est passé dans le cadre d’une agence de l’OTAN pour répondre aux besoins.

La France ne possède aucun avion très gros-porteur. Elle les loue, nourrissant un marché juteux d’Antonov 124, d’Iliouchine 76 ou de Boeing 747. Avec ses propres avions, notamment les A400 M dont seuls deux exemplaires sont disponibles sur onze actuellement, la France ne couvre au mieux qu’un quart de ses besoins selon les périodes.

Les affaires des affréteurs privés ont prospéré ces dernières années, avec le retrait d’Afghanistan puis les déploiements au Sahel, en Centrafrique, en Irak et en Syrie. Le transport stratégique coûte au ministère autour de 160 millions d’euros par an (soit 15 % du prix des opérations extérieures), dont 50 à 60 millions pour l’aérien, le reste pour le maritime.

L’opacité de la gestion des vols entre la France et les zones d’opération extérieures avait été critiquée par la Cour des comptes dès octobre 2016. La juridiction financière avait alors évoqué des « anomalies ».

« Fragilités juridiques »

En mars, le député (Les Républicains) François Cornut-Gentille rapporteur du budget de la défense à la commission des finances, s’était emparé de l’affaire en dénonçant lui aussi les « fragilités juridiques, financières et géopolitiques » du marché des gros-porteurs : soupçons de favoritisme, non-respect du code des marchés publics, tarifs excessifs non justifiés, dépendance française auprès de moyens russes. Son rapport était resté sans réponse de la part des responsables des armées.

Un concurrent d’ICS, la société SAS qui fournit déjà les Antonov russes du contrat de l’OTAN, et aimerait prendre la place d’ICS lors du prochain renouvellement du marché des armées prévu en 2018, a aussi début septembre dénoncé des irrégularités auprès du commissariat des armées. Sans engager de contentieux à ce stade.

La ministre indique ne pas vouloir risquer de mettre en danger les opérations militaires françaises par un manque d’avions. « Barkhane » au Sahel et « Chammal » en Irak-Syrie sont en ce moment les principales consommatrices de ces vols. Or, sur le marché de la location, les avions sont rares – parmi eux, seulement quinze Antonov124 sont disponibles par exemple pour transporter du matériel militaire dans le monde, avec trois compagnies russes et ukrainiennes. Afin de sécuriser les besoins opérationnels, deux solutions contractuelles au moins doivent être maintenues, a estimé aussi fin septembre le CSOA, qui a préconisé le renouvellement du contrat contesté ICS.