Emmanuel Macron lors des Etats généraux de l’alimantation, à Rungis (Val-de-Marne) le 11 octobre. / POOL / REUTERS

Editorial du « Monde ». L’Histoire a montré que des Etats généraux peuvent être annonciateurs de révolutions. Si tous les acteurs jouent le jeu, il pourrait en être ainsi pour ceux de l’alimentation, dont la première phase s’est achevée mercredi 11 octobre. Le chef de l’Etat veut, en effet, impulser une vaste remise à plat des relations entre les agriculteurs, les transformateurs de produits alimentaires et les distributeurs.

Chez les premiers, il y a longtemps que la jacquerie gronde. Coincé entre l’avidité des multinationales et la recherche perpétuelle, de la part des consommateurs, du prix le plus bas possible, le monde paysan a joué le rôle de variable d’ajustement jusqu’à l’excès. Aujourd’hui un agriculteur sur cinq perd de l’argent en exerçant son métier, tandis qu’un sur trois gagne moins de 350 euros par mois.

Cette paupérisation n’est pas soutenable. « Il y va de la souveraineté alimentaire de la France », a affirmé Emmanuel Macron. Car à la désespérance humaine s’ajoute un modèle économique devenu contre-productif. Certes, la réforme des relations commerciales mise en place par la loi de modernisation de l’économie de 2008 a largement atteint son but. Les prix ont été tirés vers le bas pour redonner du pouvoir d’achat au consommateur.

Mais ce gain immédiat pour les uns s’est transformé en pression économique mortifère pour les autres. Les crises récurrentes de la production laitière ou porcine ne sont que les symptômes les plus visibles d’un mal plus profond, qui aboutit à une précarisation des exploitations et des PME, à une dégradation de l’emploi et des conditions de travail et à une fragilisation des territoires.

Des orientations tiennent du bon sens

Le président de la République a décidé de rebattre les cartes pour redonner un peu d’oxygène au monde agricole, tout en favorisant une transformation de notre système de production alimentaire, qui doit répondre aux attentes sociétales et environnementales des Français.

Les orientations tiennent du bon sens. D’abord, la course aux prix bas doit cesser. La définition du prix payé à l’agriculteur ne se fera plus en fonction de la marge que veut empocher le distributeur ou l’industriel, mais à partir du coût de production du premier. Une loi allant dans ce sens devrait être proposée dès le premier semestre 2018.

Si l’objectif est que les agriculteurs puissent vivre du fruit de leur travail, pas question pour autant de maintenir sous perfusion des exploitations qui ne sont pas viables. En échange de cette révolution copernicienne, Emmanuel Macron demande aux agriculteurs de mieux s’organiser et de structurer les filières de production pour devenir plus compétitifs.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement tente d’instaurer un équilibre entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Les précédentes tentatives ont systématiquement échoué, faute de consensus entre des intérêts trop divergents. Désormais, chacun semble avoir pris conscience que notre modèle n’était pas durable.

Même Michel-Edouard Leclerc, qui, il y a quelques jours encore, s’opposait à la revalorisation du seuil de revente à perte, c’est-à-dire le prix en dessous duquel le distributeur ne peut pas vendre ses produits, en accepte aujourd’hui le principe à partir du moment où celui-ci concerne exclusivement les denrées alimentaires. Les négociations tarifaires qui débutent le 1er novembre vont constituer un premier test pour savoir si la révolution annoncée ira bien à son terme.