Un des portails d’accès au campus de Columbia, décoré pour l’accueil des étudiants de première année, les freshmen. / PIERRE-YVES ANGLÈS / Campus

Chronique new-yorkaise. Diplômé de Sciences Po et étudiant dans un master de littérature à l’ENS et à la Sorbonne, Pierre-Yves Anglès débute une chronique pour raconter son semestre d’échange à l’université de Columbia, à New York.

Une rentrée à Columbia a de quoi surprendre. En m’engouffrant sur le campus depuis
l’avenue de Broadway, je suis saisi par les gerbes de ballons et les odeurs de barbecue. Des hordes d’étudiants s’agitent dans les allées et à plus de 27 000 dollars l’année de licence, papa et maman ont aussi fait le déplacement. Columbia accueille les familles en grande pompe, avec des buffets gratuits et des kilos de goodies. Saviez-vous qu’il existait des portes canettes pour éviter d’avoir froid à la main en buvant son soda ?

Le président de l’université, Lee Bollinger, vient clore la journée d’orientation par un discours sur les marches de l’emblématique Low Library. Puisque Columbia a un budget annuel de plus de 9 milliards de dollars (2015/2016) et plus de 25 000 étudiants, on peut dire qu’il est à la tête d’une multinationale. L’enseignement supérieur financiarisé tourne à plein régime et l’Investment Management Company (IMC) de Columbia y veille. Les campus américains se livrent une concurrence féroce pour attirer les étudiants et professeurs du monde entier. La bourse qu’on m’a allouée ce semestre n’en est qu’une illustration.

Services 4 étoiles, que vous les vouliez ou non

Aux Etats-Unis, la concurrence interuniversitaire s’organise en partie autour des services proposés sur les campus. A Columbia, on peut accéder à une bibliothèque, un café ou une salle de sport presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le Wi-Fi coule à flots et chaque bâtiment est consciencieusement réfrigéré. L’été new-yorkais est volontiers étouffant et se prolonge jusqu’à la fin octobre dans un miraculeux été indien, « une saison qui n’existe que dans le Nord de l’Amérique », comme l’a chanté Joe Dassin.

Une caractéristique majeure des universités américaines est l’obligation récurrente de vivre sur le campus pendant sa licence. Si les frais de scolarité de Columbia comprennent l’accès à une assurance maladie – la santé étant un business très lucratif aux Etats-Unis –, le logement n’est pas bon marché et représente un surcoût d’au moins 8 000 dollars par an [6 750 euros].

Les étudiants découvrent alors les joies d’une vie régulée par l’université, avec la police du campus à la porte, le resident assistant pour prévenir le tapage nocturne et tenter d’éviter qu’on ne boive de l’alcool avant 21 ans, mais aussi des cafétérias foisonnantes et des doghnuts à volonté.

Dans cette débauche singulière de services, je tiens à saluer l’efficacité des équipes administratives, toutes rompues au numérique. Cela a de quoi surprendre quand on connaît les murs souvent décrépis des facultés françaises et ces fournées d’e-mails qui ne trouveront jamais de réponse. Les modèles économiques n’ont évidemment rien à voir. Columbia est une université privée qui prône l’intérêt général, mais certainement pas le service public comme nous l’entendons.

Cours remarquables et étudiants forcément géniaux

Parmi les méthodes dont plusieurs établissements français gagneraient à s’inspirer, Columbia propose une belle période d’add and drop : deux semaines pendant lesquelles les étudiants peuvent modifier les cours auxquels ils sont inscrits. Chaque enseignement que j’ai sélectionné m’enthousiasme donc absolument. L’exigence académique est importante et les lectures ne manquent pas – ces fameux readings qui cultivent ma myopie.

Les cours de langue sont également rigoureux et quotidiens. Le corps professoral de Columbia aussi est exceptionnel et le prix Nobel de chimie tout juste décerné au professeur Joachim Frank le confirme. Cette distinction est d’ailleurs d’autant plus prisée qu’elle influence beaucoup les classements internationaux des universités.

En 2013, lorsque j’étais en licence, j’ai eu la chance de faire une année d’échange académique à Boston [Massachusetts] – une grande expérience d’autonomisation et de voyages, de doutes et d’euphorie. A l’aune de ce séjour, je constate la grande différence de niveau entre les formations undergraduate et graduate aux Etats-Unis.

Séminaires de recherche en petit comité

Les premières concernent la plupart des Américains, il s’agit d’un High School Diploma en quatre ans, après le baccalauréat, une sorte de licence renforcée. L’équivalent d’un master européen nous propulse au niveau graduate : des programmes plus courts et très valorisés qui sont souvent une porte d’entrée vers le doctorat (phD). Ainsi, la plupart de mes cours sont des séminaires de recherche en petit comité – un luxe assez rare en France.

Ce format d’enseignement a aussi le mérite de m’épargner un travers répandu au niveau undergraduate : les étudiants qui participent sans cesse, à chaque instant, parfois sans idée, et s’il le faut sans esprit.

Si la verticalité toute hexagonale du rapport professeur-étudiant ne me semble pas idéale, il faut croire que la survalorisation de la participation et l’évaluation constante des enseignants par leurs élèves n’est pas non plus souhaitable. Un étudiant ne redouble pas et on évite de le contrarier lorsqu’il s’endette sur plusieurs décennies pour accéder à l’université.

Barack Obama, étudiant à Columbia en undergraduate, n’a ainsi remboursé son prêt étudiant qu’en 2004. La bienveillance étant de mise, tout paraît recevable et certains semblent réaliser des exploits en enfilant des anecdotes. De ce côté de l’Atlantique, ce café du commerce s’appelle un open bar. La clientélisation des étudiants et la crainte du professeur de voir sa classe se vider en cas de mauvaise prestation pendant la période d’add and drop mettent parfois de grands coups dans mes idéaux d’érudition. Ici, on excelle avec le sourire.

Pierre-Yves Anglès