Il quitte la scène comme il est arrivé : en bondissant tel un gamin sur la musique du jeune rappeur MHD. Jamel Debbouze veut et sait mettre l’ambiance. Pour la troisième représentation de son nouveau spectacle Maintenant ou Jamel, jeudi 12 octobre, au Palais des congrès du Mans, le plus connu des stand-uppeurs français savoure ses retrouvailles avec le public. Six ans qu’il n’était pas monté sur scène. Entre-temps, il a fait beaucoup de cinéma (Sur la piste du Marsupilami, d’Alain Chabat, Né quelque part et La Vache, de Mohamed Hamidi, La Marche, de Nabil Ben Yadir, Pourquoi j’ai pas mangé mon père, de lui-même), a créé le Festival du rire de Marrakech, a passé les 40 ans, est devenu père pour la deuxième fois et a présenté le Jamel Comedy Kids sur Canal+.

Tout de noir et blanc vêtu, Jamel n’en finit pas de dire le « plaisir », le « kif » qu’il a de retrouver la scène. « J’te reconnais, toi, t’as vieilli », s’amuse l’humoriste en découvrant son public qui regroupe désormais trois générations. Rompu aux règles de proximité du stand-up, il fait quelques allusions aux quartiers riches et pauvres du Mans, histoire de prouver aux Manceaux et aux Mancelles qu’il s’est « imprégné » de leur ville. Mais, comme à son habitude, c’est de lui qu’il parle, parce qu’il sait que les spectateurs sont là pour prendre de ses nouvelles. En « big boss » de l’humour, il fait – un peu trop – de pub pour le Marrakech du rire (avec, en fond de scène la photo du palais El Badi) et pour son émission Jamel Comedy Kids (en faisant monter sur scène un gamin de 12 ans) mais se doute bien qu’il est attendu sur la politique et la France post-attentats. Alors il se plie à l’exercice.

Improvisateur hors pair

« Quand j’ai annoncé que je faisais un nouveau spectacle, tout le monde m’a dit : “Maintenant, faut que tu balances. Faut y aller”. Le problème, c’est que j’ai peur », raconte-t-il. Et puis, que fallait-il organiser ? « Une manif d’innocents qui scanderaient “On n’a rien fait” ? » Il se sort du sujet par une pirouette avec une fable à la manière de La Fontaine : la belette (les Arabes et les Noirs) et la grenouille (les Français), mais il n’y a pas de morale. Il tente de la trouver en demandant l’aide du public dans un moment d’interaction dont cet improvisateur hors pair a le secret. Pour cette soirée au Mans, ce sera : « La grenouille a la trouille et la belette repart en Easy Jet ».

La politique ? « 33 % à la dernière élection présidentielle, ça m’a fait chier, c’est beaucoup, si ça se trouve y en a dans la salle ». Un ange passe… « T’imagines des racistes qui viennent voir mon spectacle et qui disent à la sortie : “Ah, il m’a bien fait marrer le bougnoule” ». La salle finit par éclater de rire. Alors qu’est-ce qu’on fait ? « On lutte contre les réflexes chelous qu’on a tous ». De toute façon, ce n’est pas la France qui l’inquiète le plus – « Je l’aime bien Macron pour l’instant » – mais les Etats-Unis de Trump. « La parole s’est libérée, dans une espèce de racisme décomplexé, “streetwear” », résume l’humoriste. « Quand il a été élu, ma mère était en panique. On va tous mourir, disait-elle. Mais ça fait vingt qu’elle dit ça ! », rappelle-t-il.

Affiche du nouveau spectacle de Jamel Debbouze au Palais des congrès du Mans, le 12 octobre 2017. / SANDRINE BLANCHARD/« LE MONDE »

Son quotidien de père

Non, visiblement, Jamel préfère évoquer son quotidien de père, parler de ses enfants : Léon-Ali, qui s’interroge sur sa double culture et apprend l’accent arabe avec sa grand-mère. Lila, qui fait de son père ce qu’elle veut et qui a été traumatisée à l’école par un exercice d’évacuation en cas d’attaque terroriste (mais pas question d’aller consulter un psy parce qu’« on n’a pas l’habitude dans la famille. Quand ça va pas, on fait son auto-spy »). Et puis sa mère, dont les nouvelles « copines » de la sortie d’école huppée où étudie son petit-fils s’appellent Ségolène et Brigitte. « Mes enfants ont changé toute mon existence », insiste le show-man en se lançant dans une comparaison entre leur vie et celle qu’il a eue à Trappes. « Vous vous rendez compte, mon fils a une chambre pour lui tout seul et des vêtements de marque. Nous, c’était lits triperposés et polo La Poste. »

Dans un moment de confession, il avoue s’interroger sur la grande amitié de son fils avec Maxence, un copain « beaucoup doux ». « Imagine si j’avais dû annoncer à mon père que j’étais homo sapien ! », dit-il avec son don pour dévier le sens des mots. Jamel ne cache pas qu’il a été élevé dans un milieu où l’homosexualité est taboue. « Mon père ne m’a jamais appris, moi j’apprendrai à mon fils. Parce que je suis ouvert et que c’est l’amour de mes enfants qui prime avant tout ». Quand il reconnaît qu’avec sa fille, il n’arrive pas à se « daroniser », on le croit sans hésiter. Jamel est resté un grand enfant, avec la même énergie, la même tchatche, le même côté foutraque qu’à ses débuts. « Ce spectacle est plein de fougue mais encore fragile », conclut-il avec sincérité. C’est un bon résumé.

Jamel Debbouze : « Ce spectacle est plein de fougue mais encore fragile »

Maintenant ou Jamel n’a rien de révolutionnaire, tourne court sur certains sujets, a parfois un sens de la formule approximatif mais reste fidèle au personnage attachant de ce gars de Trappes, arabe et handicapé, dont la carrière fulgurante a donné de l’espoir à plein de jeunes de banlieue et suscité des vocations. Ce nouveau spectacle, actuellement en rodage avant d’occuper pendant tout le mois de décembre la salle de La Cigale à Paris puis de partir en tournée, devrait pouvoir se bonifier et prendre de l’épaisseur au fil du temps. En attendant, Jamel fait du Jamel et ses fans, qui lui ont fait une standing ovation au Mans, lui disent merci.

Maintenant ou Jamel, de et avec Jamel Debbouze, mise en scène : Mohamed Hamidi. Du 1er au 30 décembre à La Cigale à Paris et en tournée en France. www.facebook.com/JamelDebbouzeOfficiel