L’ancien ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, le 23 octobre 2012. / PHILIPPE WOJAZER/REUTERS

L’onde de choc du scandale Lafarge en Syrie n’en finit pas de s’étendre. Le géant français du ciment, soupçonné d’avoir financé des organisations terroristes comme l’Etat islamique (EI) et le Front Al-Nosra de 2012 à 2014 pour faire fonctionner son usine en Syrie, fait l’objet d’une enquête judiciaire en France à la suite de la plainte déposée par l’ONG Sherpa il y a un an. L’information judiciaire, ouverte en juin par le parquet de Paris, pourrait désormais incriminer la diplomatie française.

L’organisation non gouvernementale Sherpa, qui s’est constituée partie civile afin de défendre les anciens salariés syriens de Lafarge, a demandé, mercredi 11 octobre, l’audition de deux ambassadeurs de France pour la Syrie et de l’ex-ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, qui préside désormais le Conseil constitutionnel. A l’appui de cette « demande d’actes » de l’ONG, les auditions déjà réalisées de différents responsables de Lafarge par des policiers des douanes judiciaires. Ainsi, Christian Herrault, directeur général adjoint de Lafarge de l’époque, a déclaré aux enquêteurs :

« On allait voir, tous les six mois, l’ambassadeur de France pour la Syrie, et personne ne nous a dit : Maintenant, il faut que vous partiez.Le gouvernement français nous incite fortement à rester, c’est quand même le plus gros investissement français en Syrie et c’est le drapeau français. »

Un conseil moralement peu recommandable, mais pas forcément pénalement répréhensible. « L’ambassadeur de France pour la Syrie » est en fait Eric Chevallier. Arrivé en 2009 à Damas, il a fermé la représentation diplomatique française — dont il était absent depuis novembre 2011 — en mars 2012 sur ordre de l’Elysée. Après l’élection de François Hollande et l’arrivée de Laurent Fabius au Quai d’Orsay, M. Chevallier est resté ambassadeur de France pour la Syrie, mais à Paris, jusqu’à l’été 2014. Franck Gellet lui a succédé à partir du 3 septembre de cette année.

Laurent Fabius n’a pas réagi

Quelques jours plus tard, Frédéric Jolibois, le directeur de la filiale syrienne de Lafarge, était reçu à l’ambassade de France à Amman (Jordanie) pour y exposer la situation de l’usine. Selon le compte rendu fait de cette entrevue par les diplomates et que se sont procuré les enquêteurs, le responsable de Lafarge a nié tout versement « au PYD [Parti de l’union démocratique, groupe armé kurde] et à l’Etat islamique ». Un document qui pourrait blanchir le Quai d’Orsay. La plainte déposée par Sherpa vise, en effet, des faits de « financement de groupes terroristes ». Le 19 septembre 2014, l’usine fermait à la suite de l’assaut de l’EI.

Interrogé vendredi, le ministère des affaires étrangères a répondu : « L’enquête judiciaire en cours permettra de faire toute la lumière sur ces allégations. » Laurent Fabius n’a pas réagi. Aucune immunité ne s’oppose à son audition par des enquêteurs — a fortiori à celle des ambassadeurs passé et présent —, mais une mise en examen de l’ex-ministre nécessiterait un passage par la Cour de justice de la République.

Le Quai d’Orsay n’était pas la seule administration au courant des activités de Lafarge en Syrie. « Jean-Claude [Veillard, le chef de la sécurité du groupe] avait de bons contacts avec les services, notamment la DGSE [direction générale de la sécurité extérieure] », explique ainsi aux enquêteurs Eric Olsen, ancien DRH puis directeur général de Lafarge jusqu’en avril.