Lors du carnaval  de Nice, le 11 février. / Eric Gaillard / REUTERS

« Rien à signaler. » C’est, en substance, ce que déclarait l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices, lors de sa conférence de presse annuelle, le 27 septembre, au sujet de l’évolution de l’usage des armes à feu. Elle répondait à une question sur les conséquences de la réforme des règles d’ouverture du feu en 2017 et de l’arrivée de nouvelles armes pour faire face à la menace terroriste.

En réalité, dans une note interne, révélée par TF1 et dont Le Monde a pris connaissance, l’IGPN dresse un tout autre constat. Elle évoque « une hausse significative de l’usage de l’arme à feu », entamée dès la fin de l’année 2016, et qui se poursuit sur les six premiers mois de l’année.

Au premier semestre, 192 usages d’armes ont été déclarés par la police, contre 116 au premier semestre 2016, soit une augmentation de 39,58 %. Comment interpréter ce phénomène ?

A 95 occasions, soit dans près d’un cas sur deux, l’arme a été utilisée contre un véhicule en mouvement. « Nous sommes dans un contexte de menace terroriste et les policiers sont devenus des cibles, analyse Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance (premier syndicat de gardiens de la paix). Le véhicule qui vous fonce dessus n’est pas le même qu’hier. » Cette situation fait également écho à la loi dite de « sécurité publique », votée début 2017 et qui modifie les règles d’usage des armes. Elle prévoit notamment, comme c’était déjà le cas pour les gendarmes, que les policiers peuvent ouvrir le feu lorsqu’ils ne peuvent arrêter autrement un véhicule en fuite présentant une menace.

Tirs de sommation en hausse

Parmi les autres situations d’emploi de l’arme à feu, on trouve les tirs contre des animaux, également en hausse avec 36 usages déclarés, contre 23 au premier semestre 2016.

La progression la plus significative concerne les tirs d’intimidation ou de sommation, qui passent de 2 à 19 usages déclarés. Pour l’IGPN, cela résulte d’une augmentation de la violence envers les forces de l’ordre. « L’augmentation du nombre d’agressions sur des policiers ou des gendarmes en service actif est une tendance qui s’inscrit sur le long terme », commentait à l’AFP Christophe Soullez, chef de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), lors de la publication début octobre d’un bilan annuel qui montrait que le nombre de policiers blessés par arme était passé de 430 à 687 entre 2015 et 2016.

Si les tirs en l’air ou vers le sol ont fortement augmenté, les tirs visant des personnes dangereuses, armées ou paraissant armées, sont en revanche restés stables, passant de 17 à 19. Pour Frédéric Lagache, « c’est bien la preuve que les policiers sont responsables, malgré une législation qui a assoupli les règles d’usage des armes ». « Contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire, cette loi n’a pas délivré un permis de tuer, sinon les tirs de neutralisation seraient en augmentation », insiste M. Lagache.

L’IGPN s’inquiète en revanche de l’augmentation considérable des tirs accidentels : 23 ont été déclarés pour les six premiers mois de 2017, contre 10 au premier semestre 2016. Mercredi, un policier de la brigade de recherche et d’intervention de Strasbourg a été tué accidentellement par un tir, lors d’une simulation de prise d’otages sur l’ancienne base aérienne de Francazal, près de Toulouse. D’après nos informations, cet exercice ne devait pas se faire à balles réelles, mais une erreur aurait été commise lors de la mise en sécurité de l’arme de service. En avril 2017, dans le commissariat de Mulhouse, la manipulation d’une arme de poing avait aussi provoqué un tir accidentel et le décès d’un policier.

Agents « mal à l’aise »

Ce sont surtout les armes longues qui font peser un risque d’accident, en particulier lors de leur manipulation au moment d’une mise en service ou d’une restitution. Ces armes sont beaucoup plus présentes depuis les attentats de novembre 2015. Les brigades anticriminalité (BAC) ont par exemple été dotées du fusil d’assaut HKG36 dans la mesure où elles pouvaient être amenées à intervenir en premier sur une scène d’attentat, avant l’arrivée des forces d’élite spécialisées. De la même manière, les effectifs de commissariat sont amenés à davantage arborer le pistolet-mitrailleur Beretta 12 SD, dans des situations de gardes statiques par exemple.

L’emploi opérationnel de ces armes reste rarissime. Un seul tir à l’arme longue a été déclaré par la police au premier semestre. Mais 18 tirs « par imprudence » ont eu lieu sur la même période. Ils n’ont fait aucune victime, mais révèlent des erreurs dans le respect des procédures de sécurité. Dans un tiers des cas, les armes ont ainsi été manipulées en dehors des endroits sécurisés prévus à cet effet, les « puits balistiques ». Ces accidents traduisent aussi des agents « mal à l’aise » et faisant preuve d’une réelle « méconnaissance » de leur outil, souligne l’IGPN. A l’image de ce gardien de la paix qui a oublié d’enlever le chargeur de son pistolet-mitrailleur lors d’une mise en service et qui tire, malencontreusement, à l’intérieur d’un bureau. La balle a traversé une porte, une cloison et un placard avant d’aller se nicher dans une armoire. A l’image, aussi, de cet adjoint de sécurité qui, croyant sécuriser le pistolet-mitrailleur d’un collègue, l’a placé en mode rafale et a déclenché un tir, les balles allant se figer dans une porte d’entrée de commissariat.

« L’occurrence des tirs accidentels recensés dépasse aujourd’hui le caractère exceptionnel », déplore encore l’IGPN, qui plaide pour un renforcement des niveaux d’entraînement exigés. « La manœuvre du HKG36 est plus compliquée, les personnels n’ont pas l’habitude, ils ne tirent pas assez », souligne à son tour Axel Rondel, du syndicat VIGI (ex-CGT-Police). La formation sur cette arme est concentrée sur quelques heures.