Hassan Rohani, lors de son allocution vendredi 13 octobre, à Téhéran (photo diffusée par le site officiel de la présidence iranienne). / AP

L’Iran n’a pas eu d’autre choix que de réaffirmer son strict respect de l’accord international sur son programme nucléaire. En réponse au discours d’une rare agressivité de Donald Trump. Le président iranien, Hassan Rohani, a dénoncé en direct à la télévision d’Etat « un tissu d’insultes et d’accusations sans fondements ». Il a rappelé que l’accord nucléaire, signé avec les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne, « n’[était] pas un accord bilatéral entre l’Iran et les Etats-Unis », que Washington pourrait modifier à sa guise. Le président iranien a réaffirmé que l’accord n’était « pas modifiable, on ne peut y ajouter ni un article ni une note », et que son pays l’appliquerait « tant que [ses] intérêts l’exigent ». 

En refusant pour l’heure de tendre un peu plus le rapport de force avec Washington, et en se posant en victime de l’unilatéralisme américain, Téhéran préserve un gain politique inédit : jamais la République islamique n’avait bénéficié d’un tel soutien international. Depuis des jours, l’Etat iranien affichait son unité. Vendredi, M. Rohani a ainsi de nouveau loué les gardiens de la révolution, la principale force armée du pays, les qualifiant de « héros nationaux », lui qui ferraillait avec ce corps très conservateur.

Unité de façade

M. Rohani devait exprimer l’indignation de l’Iran face à de nouvelles sanctions contre les Gardiens, annoncées vendredi par le Trésor américain. Donald Trump s’était cependant abstenu d’adopter une mesure plus radicale, après avoir envisagé d’inscrire ces forces sur la liste des organisations terroristes du département d’Etat. Téhéran en avait fait une « ligne rouge ».

Les conservateurs iraniens, quant à eux, se font relativement discrets, laissant M. Rohani et le ministère des affaires étrangères, qui demeurent les principaux acteurs du dossier nucléaire, répondre à Washington. Lors d’une rencontre, lundi, avec le ministre des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, le chef des gardiens de la révolution, Mohammad Ali Jafari, avait rappelé que « les gardiens de la révolution et le gouvernement sont unis (…). Le langage diplomatique diffère du langage militaire mais l’objectif est le même ».

Un consensus existe à Téhéran pour laisser le temps au Congrès américain de prendre sa décision sur l’application de l’accord et pour évaluer la réaction des autres pays signataires. « Pour l’heure, Washington fait de la rhétorique : il n’y a rien de neuf. Nous saurons dans quelques mois si les Européens peuvent résister à la pression américaine », note l’analyste conservateur Foad Izadi.

Cependant, cette unité de façade masque de profondes divisions. Les plus « durs » parmi les conservateurs voient dans les menaces américaines l’occasion d’enterrer la politique de rapprochement avec l’Occident engagée par M. Rohani. « Il serait souhaitable que Washington impose de nouvelles sanctions, souligne Hossein Shariatmadari, directeur du quotidien ultraconservateur Kayhan et représentant du Guide suprême, Ali Khamenei. Notre problème, c’est l’espoir qui subsiste en Iran vis-à-vis des Etats-Unis. Si cet espoir disparaissait, nous pourrions de nouveau nous reposer sur nos propres forces. »

L’incertitude maintenue par M. Trump repousse encore d’importants investissements négociés par des entreprises européennes. Elle incite celles qui se sont déjà réengagées en Iran, comme le français Total, à avancer lentement dans des secteurs qui pourraient être soumis à de nouvelles sanctions américaines. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord, Téhéran a certes doublé ses exportations de pétrole, mais cette richesse ne produit pas d’emplois. Le chômage ne cesse d’augmenter. M. Rohani s’en trouve peu à peu affaibli. Vendredi, M. Trump a réaffirmé sa volonté de « repousser » l’influence jugée maligne de l’Iran au Moyen-Orient, et la poursuite de son programme balistique. M. Rohani a fermement répondu que l’Iran continuerait d’investir dans ce programme, afin de développer « [ses] capacités de défense ». 

« Golfe Arabique »

Téhéran s’inquiète pourtant du ton martial employé par M. Trump et du flou qui demeure sur sa stratégie d’endiguement régional. « Si les Etats-Unis montraient un comportement constructif, nous pourrions négocier autre chose [que la question nucléaire] », estimait, avant le discours de M. Trump, Hossein Amir-Abdollahian, ancien vice-ministre des affaires étrangères iranien, chargé des pays arabes. « Le problème avec M. Trump, c’est qu’au lieu de donner du temps à la diplomatie il précipite la violence. » Cet officiel prévoit que la « nervosité » des forces armées iraniennes « pourrait monter à un degré intense ». Ces dernières sont déployées en Syrie, à proximité de forces américaines, ainsi qu’en Irak, où Américains et Iraniens luttent contre l’organisation Etat islamique, sans dialogue ou coordination directe.

Dans ces deux pays, Téhéran dispose cependant d’une capacité de réaction limitée à la pression américaine, les conséquences d’une escalade militaire paraissant trop graves. « Nous ne voulons pas déstabiliser ces pays alliés : il n’y a aucune raison de combattre les Etats-Unis là-bas », estime M. Shariatmadari. Ce dernier envisage cependant une hausse des tensions dans le golfe Persique – que M. Trump a nommé vendredi « golfe Arabique », suscitant de nombreuses critiques dans la population iranienne. Les gardiens de la révolution y ont multiplié ces derniers mois les provocations à l’encontre de la marine américaine.