Un mère et ses enfants qui a fui les combats entre miliciens et forces gouvernementales dans la région des Kasai, dans le centre de la République démocratique du Congo (RDC), le 27 juillet 2017. Le conflit aurait déjà fait 4 000 morts, selon l’Eglise catholique. / JUNIOR D. KANNAH/AFP

La République démocratique du Congo (RDC) fera-t-elle son entrée au Conseil des droits de l’homme des Nations unies ? Lundi 16 octobre, à New York, l’organe intergouvernemental doit désigner ses nouveaux membres lors d’un vote annuel à la majorité au cours de l’Assemblée générale. Au côté de l’Angola, du Nigeria et du Sénégal, la RDC est en mesure de pourvoir l’un des quatre sièges réservés au groupe des Etats africains. Mais 157 associations congolaises ont appelé les Etats membres de l’ONU à refuser son élection, en raison des « graves violations des droits de l’homme commises par les représentants du gouvernement et les forces de sécurité ».

Créé en 2006, le Conseil des droits de l’homme devait remplacer une commission critiquée pour la présence en son sein de pays considérés comme violateurs des droits humains. En 2016, l’élection de l’Arabie saoudite, de l’Egypte, de la Chine, de l’Irak, du Rwanda et de Cuba avait déjà provoqué l’indignation. Cette année, le vote intervient au moment où les autorités congolaises, confrontées à la contestation de leur maintien au pouvoir sur le plan intérieur, se montrent en quête de légitimité sur le plan international.

L’agenda politique et diplomatique du premier pays d’Afrique francophone demeure suspendu à l’organisation des élections, repoussées à plusieurs reprises depuis la fin officielle du dernier mandat du chef de l’Etat, Joseph Kabila, le 19 décembre 2016. La Constitution lui interdisant de se représenter, un accord conclu aux forceps fin décembre entre la majorité et l’opposition a prévu l’organisation des scrutins avant la fin de l’année 2017. Mais, le 11 octobre, la Commission électorale indépendante (CENI) a déclaré que le scrutin pourrait avoir lieu « 504 jours » après la fin de l’enregistrement des électeurs : soit pas avant avril 2019.

Dans un rapport rendu public le même jour, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est alarmé de l’éventuelle non-application de l’accord, qui pourrait « provoquer une détérioration des conditions de sécurité, entraînant des répercussions désastreuses sur la situation humanitaire et la situation des droits humains dans le pays. Répercussions qui, dans la région, pourraient être graves ».

« Situation désastreuse »

En onze ans, le Conseil a souvent dû se pencher sur la RDC. Le pays reste troublé par de nombreux foyers de violence à l’Est et accueille depuis 1999 la plus grande force de maintien de la paix des Nations unies, la Monusco, chargée de la protection des civils. La dernière résolution concernant la RDC, adoptée par consensus le 23 juin, prévoit le déploiement, actuellement en cours, d’une équipe d’experts internationaux chargés d’enquêter sur les violences perpétrées dans les provinces du Kasaï. Selon un bilan de l’Eglise catholique, plus de 4 000 personnes, principalement des civils, ont été tuées lors de la répression d’un mouvement insurrectionnel. Plus d’un million d’habitants du Kasaï ont été déplacés par les violences opposant des groupes miliciens aux forces gouvernementales, selon le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR).

Pour l’avocat Georges Kampiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), qui défend de nombreux prisonniers politiques, « la situation actuelle des droits de l’homme est désastreuse, en particulier sur deux plans : l’impunité des crimes commis au Kasaï et la répression des opposants dans le contexte pré-électoral ».

Afin de remporter un siège, la diplomatie congolaise a mené un long travail de lobbying, notamment auprès des Etats africains, sollicités dès le printemps lors de la vaste tournée sur le continent du ministre des affaires étrangères, Léonard She Okitundu, et de Barnabé Kikaya, le conseiller diplomatique de Joseph Kabila. La RDC a été désignée candidate par les Etats membres réunis lors du Sommet de l’Union africaine, auquel Joseph Kabila, d’ordinaire peu présent à l’étranger, s’était rendu en juillet. C’est aussi le texte proposé par les Etats africains qui a été adopté en juin, évitant au régime une enquête totalement indépendante sur les violences du Kasaï.

Forte de ses neuf frontières au centre de l’Afrique et de ses intérêts économiques stratégiques importants, la RDC bénéficie de l’influence plus ou moins tacite de l’Angola, de la Tanzanie et du soutien explicite de l’Afrique du Sud, dont le président, Jacob Zuma, était en visite à Kinshasa dimanche 15 octobre. En confrontation directe avec les Etats-Unis et l’Union européenne, dont les sanctions économiques ont ciblé de nombreux responsables politiques accusés de participer à la répression, le régime peut compter sur le soutien de la Chine et de la Russie.

« Une violence qui s’assied »

Pour élue, la RDC devra obtenir la majorité des suffrages exprimés par 193 Etats, auprès desquels la ministre des droits humains, Marie-Ange Mushobekwa, poursuit son plaidoyer.

« Si la RDC a des difficultés, il faut la soutenir et lui permettre d’être présente dans l’arène internationale, renchérit un diplomate africain à Kinshasa. Nous disons aux autres membres : si ce pays ne peut pas vous contaminer, car vous êtes trop nombreux, contaminez-le, vous ! » Celui-ci en est convaincu : « Une violence qui s’assied est une violence qui raisonne. Si la RDC n’est pas reconnue, ses dirigeants apprendront à vivre en autarcie, comme ceux du Burundi. » En proie à de graves violences depuis le maintien au pouvoir du président Pierre Nkurunziza, en 2015, ce voisin de la RDC a toujours refusé l’entrée sur son sol des enquêteurs du Conseil des droits de l’homme.

« Cette élection nous permettrait d’être présents et d’envoyer un message à notre propre pays : on ne peut pas violer les droits humains tout en étant membre de ce Conseil », abonde Barnabé Kikaya, conseiller diplomatique de Joseph Kabila. De nombreux rendez-vous concernant la RDC sont prévus ces prochains jours.

Une visite du Comité de sanctions du Conseil de sécurité a débuté dimanche, tandis que toute l’Afrique de l’Est sera rassemblée le 19 octobre à Brazzaville, lors du septième sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands-Lacs. Deux jours plus tard, la RDC recevra l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, Nikki Haley, très critique envers le régime Kabila et opposée à sa candidature au Conseil des droits de l’homme.