Marcelo Bielsa, le 22 septembre à Lille. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

« L’unique différence entre un fou et moi, c’est que moi je ne suis pas fou. » La saillie de Salvador Dali ferait bel effet au-dessus du bureau de Marcelo Bielsa au domaine de Luchin, le centre d’entraînement du Lille Olympique Sporting Club (LOSC). Mais elle pourrait aussi être hors sujet : plus la saison avance, moins l’entraîneur argentin semble mériter son surnom d’« El Loco », le fou. On opterait plutôt pour « le Prophète », dont Charles Biétry serait le premier apôtre.

« Il a une forme de foot qu’il veut faire jouer et qu’il n’a jamais réussi à faire jouer », a expliqué lors d’une émission de SFR Sport l’ancien président du PSG, aujourd’hui chargé de mission auprès du club lillois. « Des nouveaux foots, on n’en a pas vu beaucoup. Lui en a un dans sa tête. Moi, je vais aux entraînements, alors que tous ceux qui parlent de Bielsa ne sont jamais venus aux entraînements car il les ferme [au public]. En ayant vu ses entraînements 15, 20 fois, je viens de comprendre le football qu’il voudrait faire pratiquer. C’est très difficile à pratiquer, très compliqué à mettre en place », a insisté l’homme qui a vu, et qui croit. « Ce que Bielsa veut leur faire faire, c’est un idéal. Je crois qu’il va réussir. »

Peu importe le recrutement en forme de chamboule-tout, axé uniquement sur des jeunes joueurs en devenir, avec une somme record, pour Lille, de 70 millions d’euros dépensés sur le marché des transferts. Peu importe le début de saison à l’envers d’un club qui pointe à la 16e place, avec une seule victoire en neuf journées, décrochée lors du premier match. Peu importe la tristesse du jeu des Dogues, loin du football endiablé annoncé, avec la troisième pire attaque du championnat (6 buts marqués).

Peu importe la réalité, puisque la vérité est ailleurs, et que les vrais savent. Plus ou moins. Le président lillois, Gérard Lopez, est resté un peu démuni à l’heure de justifier les débuts hésitants d’un entraîneur désigné par Pep Guardiola comme « le meilleur du monde ».

« On a des joueurs qui travaillent très dur, qui statistiquement courent plus, récupèrent énormément de ballons », a expliqué l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois dans l’émission « Téléfoot », dimanche. « C’est l’entraîneur qui pour l’instant réalise les données que je viens de vous donner, c’est lui qui va trouver la façon de basculer tout ce travail en occasions et en buts. On continue à soutenir Marcelo », a assuré M. Lopez, dans une formule qui dans le monde du football ressemble souvent à un baiser de la mort.

« Il serait impossible de ne pas être inquiet »

Adepte des coups de sang et des démissions sans préavis, que ce soit à l’OM ou à la Lazio Rome, Bielsa a d’ores et déjà exclu de quitter le navire lillois en pleine tempête. « Il n’y a absolument aucune possibilité que je renonce à mon poste. Affirmer cela, c’est un acte d’imprudence. J’ai une conviction tellement forte sur ce projet. » Et ceux qui ne partagent pas cette foi, ou la questionnent, n’ont rien compris. En témoigne, dans son plus pur registre « déglingo », la colère de l’Argentin contre les journalistes, désignés – avec un certain sens de l’à-propos – comme étant d’une compagnie « méprisable ».

L’une des origines de la ruade, à la fin de septembre, était une question portant sur ses relations avec Luis Campos, autre conseiller sportif du président Gérard Lopez, avec lequel il serait en désaccord. « Il n’y aucune tension », a-t-il tranché, pendant qu’il mettait à l’écart deux membres du staff choisis par Campos, l’analyste vidéo Joao Sacramento et le préparateur physique Gabriel Macaya.

« Il serait impossible de ne pas être inquiet. Je me sens responsable de la situation », marmonnait quand même Bielsa à l’issue de la rouste encaissée contre l’AS Monaco (4-0), lors de la 7journée. « Je regrette beaucoup le prix payé par les joueurs pour la réalité qu’ils doivent affronter. Et je suis très déçu par le fait de ne pas être à la hauteur des attentes. » Samedi soir, après le match nul concédé à la dernière minute contre Troyes (2-2), l’Argentin reprenait sa litanie : « Ce résultat est difficile à expliquer. C’est une action isolée qui permet à l’équipe adverse d’être récompensée. Je fais souvent les mêmes observations… Je pourrais dire si c’est mérité ou pas, qui a mieux joué que l’autre, qui a dominé dans le jeu, qui a eu le plus d’occasions… mais ça ne changera rien. » Puisque ça ne fonctionne pas, il faut persévérer, et croire que le football moderne peut se construire sur du moyen ou long terme, ce qui relève quand même d’une certaine folie.

Avant la prochaine rencontre contre Rennes lors de la prochaine journée de Ligue 1, « El Propheto » pourra toujours lire à ses joueurs-disciples la Première épître aux Corinthiens de saint Paul. On y apprend que « ce que le monde tient pour insensé, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les sages ; et ce que le monde tient pour rien, c’est ce que Dieu a choisi pour confondre les forts ; et Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans considération et sans puissance, ce qui n’est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu ». Ce qui ne risque pas d’arriver à celle de Marcelo Bielsa.