Des manifestants dénoncent la fermeture de l’exposition « Queermuseu », le 12 septembre à Porto Alegre. / Cau Guebo/Raw Image/Flohapress

A ceux qui imaginaient que le pasteur évangélique laisserait ses convictions morales à la porte de la mairie de Rio de Janeiro, Marcelo Crivella vient d’offrir un démenti cinglant. En vidéo. Dans un film d’à peine une minute, diffusé début octobre, cet évêque de l’Église universelle du royaume de Dieu à la tête de l’ancienne capitale brésilienne depuis janvier 2017 laisse parler cinq Cariocas.

Le premier, jeune métis, entame : « Je ne veux pas à Rio de Janeiro d’une exposition de zoophilie et de pédophilie. » Les autres acquiescent, répétant à tour de rôle « moi non plus » avant que l’édile, enjoué, conclut : « Vous voyez, à Rio on ne veut de pas de cette exposition. Si elle doit avoir lieu au MAR [mer en portugais et acronyme du Musée d’art de Rio], ce sera au fond de la mer. »

Dans le milieu de l’art, on aimerait en rire, mais on s’étrangle. L’exposition dont il est question, « Queermuseu », mettant en scène la diversité dans les arts visuels, réunit des artistes tels Candido Portinari, Lygia Clark, Bia Leite ou Fernando Baril. Elle devait s’ouvrir le 11 novembre. Les accusations de promotion de pédophilie ou de zoophilie font référence à certaines œuvres jugées tantôt « offensantes » tantôt « libidineuses » par certains Brésiliens.

Ainsi de Travesti de lambada e deusa das águas (travesti de Lambada et déesse des eaux) de Bia Leite montrant deux enfants, dont l’un est visiblement travesti, perçue comme « un appel à la prostitution infantile » ou encore de Cena de Interior II (scène d’intérieur II) d’Adriana Varejão, dénonçant le comportement des colons portugais, vue comme une invitation à l’amour bestial. L’interprétation singulière de ces travaux artistiques est le résultat d’une campagne menée par des groupes ultraconservateurs dans laquelle s’est engouffré le maire de Rio de Janeiro.

La facette ultraconservatrice du pays

A l’origine, une vidéo, déjà, réalisée par l’un des visiteurs de l’exposition parrainée par la banque Santander qui se tenait alors à Porto Alegre, capitale de l’État de Rio Grande do Sul, dans le sud du pays. Vu plus d’un million de fois, le film amateur titré Exposition criminelle, Santander criminel montre les œuvres accompagnées de commentaires tels « quelle porcherie » ou « après avoir détruit le genre, ils pervertissent la famille », en rappelant que la loi brésilienne interdit d’offenser les religions.

La vidéo dénonçant l’exposition :

Veja o Vídeo denuncia que ajudou a derrubar a exposição macabra do Santander
Durée : 07:00

« De la pure diffamation », dénonce Gaudêncio Fidelis, commissaire de l’exposition. La polémique a obligé Santander, menacée de boycott, à stopper le 10 septembre l’événement, bien que le parquet brésilien eût nié toute contravention à la loi.

L’incident révèle la facette ultraconservatrice du pays. « Cela fait partie de notre histoire. Le Brésil souffre d’hypocrisie morale », commente le sociologue Renato Sérgio de Lima. Mais l’incident affole, car l’épisode du « Queermuseu » n’est pas un événement isolé. En
l’espace de quelques semaines les polémiques frappant le milieu culturel se sont succédé, faisant redouter le retour de la censure, un demi-siècle après le début de la dictature militaire (1964-1985).

L’union des ultralibéraux et de l’extrême droite

Il y eut d’abord l’arrestation en juillet pour “acte obscène” de l’artiste Maikon Kempinski qui, lors d’une représentation se montrait vêtu d’un simple liquide visqueux et transparent. Puis la pièce L’Évangile selon Jésus, reine du Ciel, où le Christ prenait les traits d’un transsexuel, annulée mi-septembre à São Paulo à la suite de plaintes d’organisations religieuses et politiques, notamment le groupe TFP, Tradition, famille et propriété. Et enfin le scandale provoqué par la performance au Musée d’art moderne (MAM) de São Paulo, de Wagner Schwartz, La Bête, après que l’artiste, nu, eut été touché par un garçon.

Jair Bolsonaro, favori des sondages pour la présidentielle de 2018, a appelé à « fusiller » les organisateurs de l’exposition « Queermuseu ».

« C’est très grave. Ce n’est pas seulement pour le futur de l’art qu’il faut avoir peur, mais pour le futur de la démocratie ! », commente Gaudêncio Fidelis. Inquiets, des artistes de renom tels Adriana Varejão, Vik Muniz, Marisa Monte et Caetano Veloso ont lancé, le 8 octobre, une campagne « contre la censure et la diffamation ».

L’effroi de l’intelligentsia brésilienne est autant lié au contenu de la vague qualifiée d’« obscurantiste » qu’au profil de ses auteurs. Parmi eux, des religieux intégristes et les représentants de la droite dure tel Movimento Brasil Livre (MBL). Ce groupe formé par une jeunesse acquise aux idées ultralibérales a mené les manifestations en faveur de la destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff en 2016.

Leur message appelant au boycott d’un art insultant, selon eux, les valeurs du christianisme est relayé et appuyé par cette extrême droite nostalgique du régime militaire et sa figure la plus médiatique, Jair Bolsonaro. Le député, connu pour ses outrances et son autoritarisme, est aujourd’hui favori des sondages pour la présidentielle de 2018, juste derrière l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva. À la télévision, le militaire de réserve a appelé à « fusiller » les organisateurs de l’exposition « Queermuseu ».