Caleb Amisi Luyai, membre du parti de la coalition d’opposition NASA, de Raila Odinga, pris dans les gaz lacrymogènes lors d’une manifestation à Nairobi, le 13 octobre 2017. / Baz Ratner/REUTERS

L’élection présidentielle aura-t-elle lieu le 26 octobre ? Et si oui qui seront les candidats en lice ? A moins de dix jours du vote, personne au Kenya ne sait répondre avec assurance à ces deux questions.

Quelques semaines seulement après avoir obtenu de la Cour suprême l’annulation historique du scrutin du 8 août, le candidat de la coalition d’opposition NASA avait annoncé, mardi 10 octobre, qu’il ne participerait pas au vote, plongeant le pays dans une crise politique inédite. Dimanche 15 octobre, à Mombasa, Raila Odinga, qui n’est donc plus censé être candidat, a participé à son premier meeting depuis plusieurs semaines.

L’ancien premier ministre estime que son retrait doit provoquer l’annulation du scrutin du 26 octobre et l’organisation d’un nouveau processus électoral au cours duquel les réformes qu’il exige concernant la Commission électorale (l’IEBC, organe chargé d’organiser les élections et accablé par la Cour suprême pour « irrégularités ») pourront être négociées et mises en œuvre. Dimanche, il a ainsi réitéré l’appel fait à ses partisans de manifester en ce sens, tous les jours, dans tout le pays. « Demain venez nombreux et sans peur. Ceci est notre pays et vous avez le droit de manifester ! », a-t-il encouragé la foule.

« Fonctionnement démocratique entravé »

Lundi, le résultat de cet appel était contrasté. A Nairobi, un convoi de voitures transportant des leaders de NASA et suivi de manifestants a été rapidement dispersé par des gaz lacrymogènes à son arrivée dans le centre-ville, bloqué par la police conformément à la décision du ministre de l’intérieur, Fred Matiangi, d’interdire les rassemblements dans le centre des grandes villes depuis jeudi. A Kisumu, dans l’ouest du pays, un bastion de l’opposition où les manifestants avaient bloqué des routes, mis le feu à des pneus et lancé des pierres en direction des forces de sécurité, un étudiant a été tué par balle par la police, selon plusieurs témoins cités par l’AFP. Un scénario similaire s’était déjà produit vendredi dans la ville voisine de Bondo, où deux personnes sont mortes au cours d’une manifestation.

Face aux violences, NASA a accusé le pouvoir de « crimes contre l’humanité » : « Il y a une détermination de transformer le pays des Luos (l’ethnie de Raila Odinga) en un Biafra ou un Kosovo du Kenya », a comparé la coalition d’opposition. Cette dernière a levé l’appel à manifester pour la journée de mardi, le temps, dit-elle, de venir en aide à « ses partisans brutalisés ».

Ces décès interviennent dans un contexte de préoccupations grandissantes face aux violences policières. Dans un rapport conjoint publié lundi, Human Rights Watch et Amnesty International ont indiqué que 33 personnes au moins – et jusqu’à 50 – étaient mortes des mains de la police à Nairobi dans les jours qui ont suivi les élections du 8 août, notamment dans les bidonvilles de Kibera et de Mathare. Des chiffres qui s’ajoutaient à un précédent travail de HRW recensant 12 morts dans l’ouest du pays. Interrogé mardi matin lors d’une rencontre avec la presse étrangère, le vice-président William Ruto les a qualifiés d’« allégations ». « Bien sûr il y a eu des morts, et bien sûr il y a eu des réactions à ces morts. Mais la police a-t-elle fait un usage excessif de la force ou a-t-elle réagi pour protéger les citoyens ? Certains de ces émeutiers sont armés, violents », a déclaré le colistier d’Uhuru Kenyatta, affichant volontiers sa confiance quant à la victoire de Jubilee, son parti, le 26 octobre.

Des « affrontements violents entre policiers et manifestants » que les observateurs de l’Union européenne ont déplorés lundi dans un communiqué très critique envers les deux bords politiques. « De telles actions, de la part des deux camps, entravent profondément le fonctionnement démocratique », résument-ils dans ce texte qui pointe également la modification en cours de la loi électorale portée par Jubilee ou encore les diverses menaces proférées à l’encontre de la Commission électorale. Très durs envers les candidats, les observateurs de l’UE saluent en revanche la dizaine de changements annoncés par l’IEBC en vue du scrutin du 26 octobre. La « quasi-totalité » de leurs recommandations, concernant notamment la transparence et la crédibilité dans la transmission des résultats, ont, notent-ils, été intégrées.

Nombreuses inconnues

Si l’IEBC semble déterminée à vouloir organiser le vote le 26 octobre, de nombreuses inconnues restent en suspens. On ne sait pas encore précisément qui des petits candidats – moins de 1 % des suffrages en août –, autorisés à concourir depuis une décision de la Haute cour de justice, participera au scrutin.

Le président Kenyatta, lancé dans une série de meetings qui doit l’emmener dans dix-sept comtés ces prochains jours, n’a pas encore ratifié les amendements à la loi électorale, déjà validés par l’Assemblée nationale et le Sénat. Des dispositions très controversées qui tendront un peu plus le climat politique.

De son coté, Raila Odinga a affirmé qu’il refusait de remplir les documents requis par la Commission électorale pour officialiser son retrait. Pour l’heure, l’IEBC n’a reçu de la part de NASA qu’une lettre, sans valeur juridique, et considère donc l’opposant comme, de fait, toujours dans la course. Enfin mardi matin, la Haute Cour de justice a décidé d’annuler temporairement l’interdiction de manifester décidée par le gouvernement, en attendant d’étudier ce dossier sur le fond. D’ici le 26 octobre, coups d’éclat et rebondissements sont encore hautement probables dans la saga politique kényane.