Dans le centre de Mogadiscio, au lendemain de l’explosion d’un camion piégé, dimanche 15 octobre. / MOHAMED ABDIWAHAB/ AFP

C’est l’attentat le plus meurtrier jamais commis en Somalie. Samedi 14 octobre, la capitale Mogadiscio a été frappée par une attaque au camion piégé, faisant environ 300 morts et des centaines de blessés, selon un dernier bilan donné lundi par le chef des services ambulanciers de la ville.

Si cet attentat n’a toujours pas été revendiqué, les Chabab, islamistes somaliens liés à Al-Qaida qui lancent fréquemment des attaques et attentats-suicides dans Mogadiscio et ses environs, ont été rapidement pointés du doigt par les autorités. Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris, décrypte le fonctionnement et la stratégie du groupe somalien.

Quand les Chabab sont-ils apparus ? Qui est leur chef aujourd’hui ?

Les Chabab émergent après le 11 septembre 2001 de façon un peu désordonnée. A Mogadiscio, il s’agit alors d’un petit groupe de militants qui mènent une guerre clandestine contre les partisans de l’Ethiopie et des Etats-Unis. En parallèle, au Somaliland, il y a aussi une tentative de créer un mouvement similaire aux talibans, en vain. Finalement, c’est seulement vers 2004-2005 que ce groupe prend forme de façon d’abord clandestine puis à partir de février 2006 de façon ouverte.

Leur chef actuel est Ahmed Omar Diriye, dit Abu Ubaydah. Il est un parent du précédent leader, Ahmed Aw Godane, tué en septembre 2014. Contrairement à son prédécesseur, il assume une direction plus collégiale du mouvement et évite ainsi les crises qui ont affaibli les Chabab en 2011 et 2012.

Quel est leur objectif, leur idéologie ?

Les Chabab ont trois objectifs principaux : l’imposition de la charia, la mise en place d’un Etat islamique et bien évidemment le départ de toutes les forces étrangères de Somalie. Ils se rattachent au courant salafiste et, pour une part, à la mouvance djihadiste.

Mais il y a une certaine ambiguïté au sein même du groupe, certains définissant leur lutte dans un cadre national, d’autres l’étendant aux territoires somalis du Kenya et de l’Ethiopie, et d’autres encore adhérant à une vision plus globaliste. Car cette organisation est d’abord un produit de la guerre civile somalienne – en cours depuis 1991 –, qui traduit l’échec des factions claniques mais également des puissances régionales à rebâtir une société et un Etat somalien.

Ainsi, l’adhésion des Chabab à Al-Qaïda en février 2012 est, pour le groupe, aussi bien une manière de sortir d’un isolement dangereux que de masquer l’ampleur de la crise interne qui se traduit en juin 2013 par l’assassinat de certains dirigeants et l’éviction d’autres.

Quelle est leur force aujourd’hui ? Quelle partie du pays contrôlent-ils ?

Les Chabab doivent compter environ 6 000 combattants actuellement. Ils contrôlent une grande partie du monde rural et sont présents à la périphérie de tous les grands centres urbains du centre sud de la Somalie. Mais ils ont aussi une présence militaire au nord dans une zone à la frontière entre Puntland et Somaliland, deux territoires qui se sont déclarés autonomes et ne sont pas reconnus par la communauté internationale.

Surtout, ils bénéficient d’une aide financière qui provient non seulement de la diaspora mais de toutes les régions de la Somalie, du Somaliland, du Puntland et du Kenya, au-delà donc des zones de conflit direct.

L’attentat de Mogadiscio leur est attribué par les autorités somaliennes. Pourquoi, si c’est bien eux, ne le revendiquent-ils pas ?

En 2017, les Chabab ont pris le contrôle de plusieurs camps militaires somaliens et de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom) – mission régionale de maintien de la paix en Somalie menée par l’Union africaine avec l’aval des Nations unies à la suite de la guerre civile somalienne. Ils sont donc les seuls à disposer d’explosifs en grande quantité.

Si les Chabab ne revendiquent pas cet attentat, c’est sans doute parce que leur objectif n’était pas de faire exploser un véhicule plein d’explosifs dans une zone où il n’y avait aucune cible politique significative. Comme quelques observateurs somaliens, je pense qu’il y a eu un problème, sans doute un accident, et que le chauffeur a fait sauter son véhicule pour ne pas avoir à se rendre.

Les Chabab subissent la concurrence de l’Etat islamique (EI), également présent en Somalie. Comment s’adaptent-ils ?

L’Etat islamique existe près de Qandala dans le nord-est de la Somalie et regroupe au maximum deux cents ou trois cents combattants. La tentative de l’EI de créer une filiale somalienne en octobre 2015 a vite tourné au fiasco car les Chabab n’ont pas fait l’erreur de leur homologue en Syrie : ils entendent bien maintenir leur monopole du discours djihadiste à l’intérieur de la Somalie.

En Somalie, plus de 300 morts dans un attentat
Durée : 01:15