Sebastian Kurz, le 15 octobre. / Matthias Schrader / AP

Il y a quelques mois, l’élection d’Emmanuel Macron (39 ans) à la présidence de la République française donnait un coup de jeune au pays, et à l’Europe tout entière, reléguant des années derrière lui Justin Trudeau, devenu premier ministre du Canada à 43 ans, en 2015. Mais les deux hommes sont désormais en passe d’être ringardisés par l’Autrichien Sebastian Kurz, qui s’apprête à devenir le chancelier de son pays ; à 31 ans, le chef du Nouveau parti populaire autrichien (Die neue Volkspartei, héritière de l’Österreichische Volkspartei, parti populaire autrichien, chrétien-démocrate conservateur), vient de remporter les élections législatives en Autriche.

« Sebastian Kurz a analysé le sentiment collectif des Autrichiens : économiquement, le pays va bien, il y a un optimisme individuel, mais aussi une angoisse pour l’avenir. La population ne veut plus de l’immigration, elle considère que l’islam est une religion politique antithétique avec la conception de la démocratie autrichienne. Les Autrichiens réclament plus de sécurité : ils craignent le terrorisme, veulent aussi réduire la petite criminalité », analyse Patrick Moreau, politologue au CNRS, qui voit en l’homme un « excellent communicant et un remarquable tacticien ».

Prise en main d’un parti à bout de souffle

Surnommé « Wunderwuzzi » (« enfant prodige »), Sebastian Kurz a tenté et réussi une OPA sur une formation existante. En mai, il s’est fait adouber nouveau leader de l’Österreichische Volkspartei (ÖVP), avant d’annoncer que sa formation allait laisser tomber le gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates.

Il fait alors le diagnostic que l’ÖVP est une formation usée par des années de coalition et qu’il faut « éliminer » le parti d’extrême droite, le Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), quitte à lui emprunter plusieurs de ses thèmes de campagne. Sebastian Kurz est allé jusqu’à repeindre la façade du parti — exit le noir, ancienne couleur du parti, remplacé par du bleu turquoise — et à lui donner un nouveau nom, Die Neue Volkspartei.

Pour réussir sa prise de contrôle et la transformation du parti, il a passé un accord avec les barons de province et monté une équipe composée de membres issus de tout le spectre politique autrichien : des Verts au FPÖ (pourvu qu’ils ne soient pas des proches de Heinz-Christian Strache, le chef du parti d’extrême droite) en passant par les sociaux-démocrates.

De fait, « parmi les députés élus dimanche 15 octobre, seule une minorité est issue de l’ÖVP. La formation n’est pas un rassemblement de fonctionnaires, de vieilles barbes, le parti s’est ouvert », précise M. Moreau.

Une « longue » carrière politique

Loin du parcours balisé d’un « fils de » ou d’un premier de la classe, l’origine relativement modeste de Sebastian Kurz — il est né à Vienne, d’une mère enseignante et d’un père ingénieur — lui a permis de toucher les électeurs de province.

« Il a grandi et réside toujours dans l’arrondissement de Meidling, un quartier populaire du sud de la capitale, qui est de plus marqué par la mixité, avec des élèves issus de la diversité, qui s’intègrent plus ou moins bien », poursuit le politologue. A cela s’ajoutent des séjours dans la ferme de ses grands-parents, qui vont forger son rapport à l’Autriche, à la Heimat (« la patrie »), qui font de lui un conservateur.

En 2007, il passe quelques semaines à l’ambassade d’Autriche à Washington. « Là, il se rend compte que le mouvement conservateur américain n’est pas le modèle à suivre pour rénover le conservatisme autrichien. Il est conservateur, pas réactionnaire », rappelle Patrick Moreau. En effet, il ne s’est pas privé de critiquer le président américain, mettant en garde contre une détérioration des relations avec l’Iran.

Son ascension s’est aussi faite sous le parrainage de plusieurs figures majeures de la formation conservatrice : l’ancien vice-chancelier Michael Spindelegger ou l’ancienne ministre de l’intérieur Johanna Mikl-Leitner, l’ancien gouverneur de la Basse-Autriche Erwin Pröll et surtout l’ex-chancelier Wolfgang Schüssel.

Etapes clés pour sa pensée politique

Elu en 2009 à la tête de l’organisation de jeunesse de l’ÖVP, il dynamise l’organisation par ses talents d’orateur. Au conseil municipal de Vienne, où il siège depuis 2010, il s’occupe des questions de solidarité entre les générations et des retraites, avant d’être nommé secrétaire d’Etat à l’intégration (2010-2013), à 24 ans, alors qu’il n’a pas achevé ses études à la faculté de droit de Vienne.

« C’est là que se joue un passage clé de sa carrière : très rapidement, il estime que l’intégration ne fonctionne pas et qu’il faut privilégier l’Autriche et les Autrichiens », ajoute M. Moreau. En prenant cette position, il sera attaqué aussi bien par les conservateurs de l’ÖVP que par les autres partis, mais c’est à ce moment-là qu’il constitue le groupe de fidèles qui l’entourent aujourd’hui.

En 2013, il devient le plus jeune ministre des affaires étrangères d’Europe. Il va alors fréquenter ses homologues internationaux, notamment lors des négociations sur le nucléaire iranien à Vienne en 2015, et étoffer sa carrure d’homme d’Etat.

Surtout, à ce poste, il est l’un des premiers responsables en Europe à critiquer la politique d’accueil de la chancelière allemande, Angela Merkel, prônant — et obtenant — la fermeture de la « route des Balkans ». Sa position le rapproche du groupe de Visegrad (République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie) qui estime que le sujet des flux migratoires est existentiel.

A une Autriche prospère, mais insécurisée par la crise migratoire, il va donc tenir un discours de fermeté sur l’immigration et offrir une image de modernité.

M. Kurz ne s’interdit aucune option

Son rôle de ministre des affaires étrangères l’a tenu éloigné des réalités de la direction d’un pays, et ses détracteurs critiquent le « flou de son programme ». « Il incarne le changement, sans vouloir dire ce qu’il va faire », dit le politologue.

Au cours des prochains jours, il sera chargé par le chef de l’Etat, Alexander Van der Bellen, de former un nouveau gouvernement. Pour les responsables européens, une alliance avec le FPÖ d’extrême droite, s’annonce comme le scénario le plus inquiétant, dans le contexte du « Brexit » et de la poussée de courants populistes.

Pour autant, ce scénario n’est pas encore écrit, entre autres à cause de l’inimitié entre MM. Kurz et Strache. Sebastian Kurz ne s’interdit aucune option : « Je mènerai des discussions avec tous les partis. Je veux des partenaires pour un changement », a-t-il déclaré, dimanche.