L’avis du « Monde » - on peut éviter

Le silence des mânes de MM. Romains et Jouvet face à la sortie du Knock de Lorraine Lévy tendrait à démontrer qu’il n’y a pas de vie après la mort. Ce que la réali­satrice et scénariste a infligé à une pièce qui fut omniprésente sur les scènes françaises, avant de perdre un peu de son lustre, est à la fois incompréhensible et ­déplaisant. Ce désagrément tient moins à la prise du rôle du ­docteur Knock par Omar Sy, même si l’interprète d’Intouchables semble souvent aussi ­perplexe face à son personnage que le spectateur l’est face à l’écran, qu’à l’étrange procédé employé par Lorraine Lévy, qui ­déconcerte un moment, avant d’exaspérer.

Son Knock semble résulter du démontage de la mécanique ­originelle (celle de la pièce de ­Jules Romains, créée en 1924 par Louis Jouvet avant qu’il ne ­reprenne le rôle par deux fois à l’écran, en 1933 et 1951), sans que la réalisatrice se soit souciée d’imaginer vraiment un nouvel assemblage. Le film se compose de ­séquences empruntées au texte original, auxquelles ont été ajoutés des morceaux ­venus d’autres univers cinématographiques : la comédie sentimentale, le mélodrame, la farce scatologique…

On dirait qu’un enfant a secoué la boîte renfermant les fragments de jouets qu’il a cassés dans l’espoir qu’ils en forment un autre, plus beau, plus neuf. Le spectateur se retrouve dans la position de l’adulte devant lequel l’enfant ouvre sa boîte pour découvrir un dérisoire amas de fragments.

Ce que la réali­satrice a infligé à cette pièce est à la fois incompréhensible et ­déplaisant

Knock 2017 précipite, comme l’original, un médecin entreprenant dans une collectivité de gens bien portants. Cette bourgade, Saint-Maurice, est cette fois ­située au pied du Vercors, dans les années 1950. La ville conserve – une plaque de marbre en témoigne – le souvenir des atrocités nazies. L’utilité de cette information restera mystérieuse jusqu’au bout. C’est le sort le plus enviable auquel puisse aspirer l’un des innombrables détails ajoutés par le scénario au texte de la pièce.

Les autres inventions sont au mieux anachroniques (l’emploi de l’expression « lien social »), sinon affligeantes (l’usage d’un puissant laxatif par le docteur Knock) ou si convenues qu’elles en deviennent ennuyeuses, comme l’idylle entre le médecin et une belle fille de ferme poitrinaire.

Sujet indécelable

Reste un détail qui n’en est pas un : l’identité du docteur Knock. L’origine africaine du nouveau médecin ne peut laisser indifférents les membres d’une collectivité rurale française sous la IVe République. Mais que faire de cette situation ? Au début du film, après un prologue superflu, la femme du docteur Parpalaid, le praticien que vient remplacer Knock, dit à son époux : « Mais tu ne m’avais pas dit qu’il était… » et ne peut terminer sa phrase. Tour à tour Rufus, dans le rôle du sage de comptoir, et Alex Lutz, dans ­celui du curé, tournent autour du pot, sans que jamais la différence de Knock soit énoncée, et les réactions qu’elle peut inspirer ­mises en scène.

J’ai pensé à Bienvenue à Marly-Gomont, autre comédie française qui racontait l’arrivée d’un médecin congolais dans un village picard, au temps de Valéry Giscard d’Estaing et regretté d’avoir, à sa sortie, en juin 2016, insisté sur l’humour appuyé des situations plutôt que sur son postulat. Au moins le film de Julien Rambaldi essayait de traiter son sujet.

Tout comme la raison d’être du film, la modernité se fait attendre

Celui de Knock est indécelable. Il n’est plus question de remettre en cause l’emprise de la science et du commerce comme chez Jules ­Romains, sans que rien vienne prendre la place de cette ­intention, sinon les atours ordinaires du cinéma commercial français. La distribution est ­prestigieuse : Sabine Azéma, ­Michel Vuillermoz, Rufus… On ­reconnaît aussi cette pulsion ­récurrente à dépeindre les « trente glorieuses » comme un paradis perdu : les Dauphine et les Aronde sont alignées le long des trottoirs, les intérieurs sont ­délicieusement désuets. Tout comme la raison d’être du film, la modernité se fait attendre.

Justement, le propos de Jules ­Romains était d’en dépeindre l’irruption. Son docteur Knock était un manipulateur qui initiait les paysans de Saint-Maurice à la science, à la rationalité économique, à la consommation de masse – en l’occurrence celle des services et produits de la science médicale.

Obsolescence

On peut retrouver cette mécanique satirique et politique sur les écrans, à l’occasion de la réédition en salle du Knock de Guy Lefranc, que Louis Jouvet mit en œuvre (il apparaît aussi comme « directeur artistique » au générique) juste avant de mourir, à l’été 1951. Le film n’est pas un chef-d’œuvre, mais il permet à son interprète de faire le portrait précis d’un ambitieux sans scrupule, doué de l’empathie dévoyée qui fait les grands escrocs et lui permet de passer pour un bon médecin.

Un quart de siècle après sa création, Knock est déjà désuet. Mais cette obsolescence atteint la ­satire médicale (la pièce a été écrite avant l’institution de ­l’assurance-maladie universelle, l’arrivée des antibiotiques…) tout en laissant intact le propos politique : avant d’être un homme de science perverti, le docteur est un manipulateur politique, qui instaure un ordre nouveau en étouffant la dissidence.

Jouvet est entouré de seconds rôles auxquels il ne laisse guère d’espace (Pierre Renoir, Jane ­Marken, un Jean Carmet juvénile). On trouvera quand même plus d’intérêt à guetter la seule ­apparition éclair de Louis de ­Funès dans la version de 1951 qu’à la vision de l’intégralité du Knock d’aujourd’hui.

KNOCK - de Lorraine Lévy avec Omar Sy - Bande-Annonce
Durée : 02:41

Film français de Lorraine Lévy, avec Omar Sy, Anna Girardot, Sabine Azéma, Alex Lutz (1 h 53). Knock, film français de Guy Lefranc (1951), avec Louis Jouvet, Pierre Renoir, Jean Carmet (1 h 30). Sur le web : www.marsfilms.com/film/knock, www.facebook.com/Knock-Le-Film