Dans le ciel, les avions se succèdent et le bruit des réacteurs interrompt, l’espace de quelques secondes, le rassemblement qui se tient devant l’annexe du tribunal de Bobigny. Installée au pied des pistes de l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, à Roissy, celle-ci est adossée à la « zone d’attente pour les personnes maintenues en instance » (ZAPI), où les étrangers qui n’ont pas été autorisés à entrer sur le territoire français à leur arrivée sont retenus. L’annexe devait commencer à juger leur maintien ou non dans la zone d’attente le 18 octobre. Mais elle n’héberge finalement qu’une audience expérimentale – la quatrième – en attendant l’inauguration des locaux, repoussée au 26 octobre.

« Nous sommes immédiatement sur le tarmac », constate Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Le syndicat fait partie des différentes organisations, comme la Ligue des droits de l’Homme ou encore le Groupe d’information et de soutien des Immigré.e.s – opposées à la « délocalisation » de la justice sur le tarmac de l’aéroport. Au micro, Laure Blondel, de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, cite le Défenseur des droits, qui a demandé la semaine dernière le report du projet. Pour elle, ouvrir une annexe comme celle-ci « revient à mettre en place une justice d’exception ». « L’idée est de juger les gens sur place », s’indigne-t-elle.

Une délocalisation polémique

Le projet, réactivé en fin d’année dernière après avoir été suspendu en 2013 par l’ancienne garde des sceaux, Christiane Taubira, vise en effet à limiter les allers-retours au tribunal de Bobigny, à une quinzaine de kilomètres de là, effectués « dans des conditions inconfortables », selon les mots de l’actuelle ministre de la justice, Nicole Belloubet. Les justiciables doivent jusqu’à maintenant y patienter toute la journée. En ce sens, l’annexe est censée améliorer leur confort. Mme Belloubet estimait d’ailleurs mardi sur France Inter, face à la bâtonnière de Seine-Saint-Denis, que la salle d’audience était prête à être ouverte.

Mais pour les syndicats d’avocats et les associations de défense des droits des étrangers, l’endroit ne respecte toujours pas les principes du droit, notamment l’indépendance et l’impartialité du juge, ainsi que les droits de la défense. En cause : l’emplacement de la salle d’audience, « totalement imbriquée » selon eux avec la zone d’attente. Il ne permettrait pas aux personnes jugées de bien faire la différence entre la police aux frontières et la justice, ni de savoir qu’elles ont affaire à un juge indépendant.

Son emplacement, difficilement accessible en transports en commun, pose aussi problème aux avocats, aux familles des étrangers jugés mais aussi vis-à-vis du principe de « publicité des débats ». « Cette justice n’est pas rendue au nom du peuple français, lequel ne peut pas assister à l’audience », affirme Laurence Roques, du Syndicat des avocats de France, avant de s’engouffrer dans la petite salle d’audience.

Des recours ont été déposés

A l’intérieur, il y a quinze chaises réservées aux étrangers retenus, et une vingtaine pour le public. Pas assez pour accueillir tous les journalistes présents et les familles qui se sont déplacées. La première famille à se présenter devant le juge est un couple d’Afghans, avec trois jeunes enfants. Ils veulent obtenir l’asile politique. Ils ne parlent pas français, et aucun interprète n’est là pour les aider à comprendre ce qui se joue devant eux, malgré les sollicitations du tribunal. « No english ? », tente le juge, en vain.

Sur les bancs du public, une petite fille de deux ans se tortille impatiemment sur les genoux de sa mère. Cette dernière est venue soutenir son ancien compagnon, retenu en zone d’attente depuis cinq jours. La police aux frontières a douté de la véracité de ses papiers à son retour de vacances mais – la jeune femme l’assure – il a la double nationalité franco-gabonaise.

Elle a fait le déplacement, malgré l’éloignement de l’annexe du tribunal. Une salle contre laquelle les avocats ne comptent pas cesser de lutter. Ils ont décidé de déposer des recours lors de l’audience. « On ira jusqu’au bout », assure Laurence Roques.