« Pas de réformes, pas d’élection » : c’était le mot d’ordre de l’opposition kényane depuis l’annonce de son leader, Raila Odinga, de ne pas participer au scrutin présidentiel du 26 octobre l’opposant au président Uhuru Kenyatta.

Depuis l’annulation du scrutin du 8 août par la Cour suprême, M. Odinga exige une série de modifications dans l’organisation du vote, à commencer par un renouvellement des membres de la Commission électorale (IEBC), accablée pour ses « défaillances » et les « irrégularités » constatées, notamment, dans la transmission des résultats des bureaux de vote. Depuis mercredi soir 18 octobre, au terme d’une journée où la crispation générale a passé un cran supplémentaire à seulement une semaine du nouveau vote, le slogan de NASA, la coalition d’opposition, se limite à « Pas d’élection ».

« Assiégé »

Cet appel au boycottage fait suite à l’annonce, dans la nuit de mardi à mercredi, de la démission d’une des sept commissaires de l’IEBC. Dans un long communiqué, Roselyn Akombe explique ne plus vouloir être impliquée dans la « parodie » de démocratie qui se joue actuellement au Kenya et dénonce les postures partisanes de certains de ses pairs. « La Commission électorale ne peut certainement pas, dans son état actuel, garantir une élection crédible le 26 octobre », écrit-elle dans ce texte envoyé depuis New York, où l’ancienne responsable des Nations unies dit s’être réfugiée, craignant pour sa vie. « Je ne me suis jamais sentie aussi menacée dans mon pays », a-t-elle justifié dans une interview à la BBC, dénonçant les pressions politiques subies par les tous les membres de l’IEBC, à commencer par son président, Wafula Chebukati : « C’est une personne de bonne volonté mais il est assiégé et il n’a pas suffisamment de soutien à l’intérieur de la Commission. »

Un énième soufflet auquel le patron de la Commission électorale se devait de réagir. Convoquant en urgence une conférence de presse le jour même, Wafula Chebukati a fait, seul et d’une voix étouffée, l’aveu qu’il ne pouvait pas, dans le contexte actuel, « garantir une élection crédible » la semaine prochaine : « Je ne peux pas aller de l’avant avec une Commission divisée. Je ne peux pas aller de l’avant quand des candidats à la présidence refusent de mettre leur intérêt de côté et de servir pour une fois leur pays. » Cet avocat de formation refuse pourtant de démissionner, évoquant ce scénario comme « une solution de facilité ».

Il a au contraire redit sa détermination à mener le scrutin le 26 octobre, malgré le départ de Roselyn Akombe, qui ne pourra être remplacée avant l’élection – en cas de démission d’un commissaire, le règlement de l’IEBC stipule que la vacance doit être publiée au Journal officiel dans les sept jours. Et Wafula Chebukati d’ajouter, haussant légèrement le ton : « Mais permettez-moi d’être très clair : j’adresse un carton jaune à tous les hommes politiques de ce pays. Je n’accepterai plus les menaces sur mes équipes, je n’accepterai plus les interférences sur le travail de la Commission. » Avant de s’éclipser en vitesse sans répondre aux questions des journalistes, il a appelé avec insistance les deux camps, NASA et Jubilee, à dialoguer.

Manifestations le jour du vote

Mais Raila Odinga et Uhuru Kenyatta ont choisi l’option inverse, allant chacun un peu plus loin dans la surenchère. Lors d’un meeting organisé dans le quartier de Kamukunji, à Nairobi, Raila Odinga, qui avait en début de semaine suspendu les rassemblements jusqu’à nouvel ordre, a appelé ses partisans à manifester massivement le jour du vote : « Aujourd’hui, M. Chebukati lui-même ne voit pas une élection crédible sortir ! Les manifestations vont se poursuivre et, le 26, ce seront les plus grandes du pays. »

Ces propos font craindre que les supporters de NASA ne tentent d’empêcher la tenue du scrutin, une stratégie qui provoquerait inévitablement de nouveaux affrontements avec la police alors que trois personnes sont mortes depuis vendredi. Ces derniers jours, des manifestants ont déjà interrompu des ateliers de formation de l’IEBC, s’en prenant notamment à ses équipements, rapporte la presse kényane.

« Le durcissement de la posture de l’opposition fait encore monter les enchères, ajoute Nic Cheeseman, professeur de politique africaine à l’université de Birmingham et spécialiste des institutions kényanes. Si les partisans de NASA refusent de voter et tentent d’empêcher le déroulement du scrutin dans leurs zones, il est encore plus difficile de voir comment une élection crédible pourra se tenir. »

De son coté, Uhuru Kenyatta a rejeté en bloc l’éventualité d’un dialogue. « Nous sommes prêts pour l’élection et nous ne parlerons avec personne », a dit le président sortant lors d’un meeting à Karbanet, dans l’ouest du pays. Dans ce contexte délétère, une réunion entre les leaders des deux camps annoncée pour jeudi après-midi par l’IEBC a été rapidement annulée.