Ils avaient dit publiquement qu’ils se sentaient méprisés par l’administration et le ministère. Mercredi 18 octobre, ­Françoise Nyssen, qui avait réuni rue de Valois les directeurs des centres de création nationaux (trente-huit CDN, centres dramatiques nationaux, dix-neuf CCN, centres chorégraphiques nationaux et cinq CNCM, centres nationaux de création musicale) a su trouver les mots justes pour rétablir un début de confiance et la base d’un travail en commun avec ces labels qui ont en commun d’être dirigés par des artistes. « Création. Prototypes. Expérimentation. Travail interministériel… » La ministre de la culture a pris soin de reprendre à son compte les mots-clés de cette nouvelle génération du théâtre, de la danse et de la musique qui ont choisi ces dernières années de prendre les rênes de lieux publics et des enjeux qu’ils représentent dans le monde d’aujourd’hui.

Philippe Quesne, directeur du théâtre des Amandiers, à Nanterre : « le spectre de nos missions devient délirant quand on sait que nous avons les mêmes moyens qu’il y a dix ans »

« On n’a pas pris des CDN comme une ascension de carrière, explique Philippe Quesne, le directeur du Théâtre des Amandiers, à ­Nanterre. Mais par engagement. » Cet été à Avignon, il a vécu comme un coup de ­ « dynamite » la rencontre avec la représentante du ministère qui « ne semblait même pas comprendre qui on était… »

L’épisode aura eu l’impact positif de réveiller tout le monde. « Boris ­Charmatz, à Rennes, Jean Boillot, à Thionville, Christophe Rauck, à Lille… Nous avons tous cette envie de s’atteler à l’écriture d’un lieu, poursuit Philippe Quesne. Nous savons ce que service public veut dire. Nous avons des parents enseignants ou qui travaillent dans les hôpitaux. Mais le spectre de nos missions devient délirant quand on sait que nous avons les mêmes moyens qu’il y a dix ans. L’Etat doit comprendre qu’il faut remette le disque dur à jour. »

Mission régalienne

A l’instar de Marie-José Malis, la nouvelle présidente du Syndeac qui regroupe tous les employeurs du spectacle vivant, les directeurs des centres de création se comprennent ainsi comme les acteurs d’une nouvelle « décentralisation culturelle » telle qu’elle fut pensée par ses pionniers au lendemain de la seconde guerre mondiale : aller à la rencontre des populations, faire du travail artistique et créatif une arme de cohésion ­sociale au sein des territoires et« assumer la mission régalienne de former notre jeunesse ». Au Théâtre de la Commune, qu’elle dirige à Aubervilliers, en Seine-Saint­-Denis, Marie-José Malis œuvre ainsi à un projet qui regroupe la salle, un foyer et une école de pédagogie alternative pour migrants et déscolarisés, mais, dit-elle, « on nous demande d’être les pompiers sociaux, et cela demande un cadre et des moyens ». Et de la souplesse. « La ministre a insisté sur la nécessité de simplifier nos relations, d’alléger la ­question de l’évaluation », se réjouit ­Renaud Herbin au TJP de ­Strasbourg. Certes, le « reporting » permanent au ministère est ­devenu, disent-ils, pénalisant au fil des ans.

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Mais derrière cette question se cache surtout, plus essentielle, la volonté ne pas faire le tri entre les bons élèves rentables et les projets plus petits ou géographiquement trop mal lotis pour être bien notés – et donc soutenus. Insistant sur la nécessité de mettre la création au centre de la « transmission » (le vocable a remplacé celui d’« éducation artistique et culturelle »), la ministre a bien compris qu’elle avait tout intérêt à accompagner cette génération qui, décidée à être l’agent de sa propre transformation, s’est déjà attelée à l’écriture de ce qu’ils appellent eux-mêmes « l’acte II de la décentralisation culturelle ».

Au sortir de la réunion, on se ­félicitait, comme le dit Alban ­Richard, le directeur du Centre chorégraphique de Caen, « de la visibilité enfin accordée à l’inventivité et la multiplicité de nos outils ». Et du travail de refondation désormais annoncé. Reste à définir la méthode. Et à poser le calendrier.