Jacinda Ardern, au Parlement, le 19 octobre. / MARTY MELVILLE / AFP

Son rival l’avait qualifié de « poussière d’étoile », un trois fois rien qui ne durerait pas. A 37 ans, elle s’est pourtant « imposée comme un astre durable de la politique néo-zélandaise ». C’est par cette métaphore sidérale que le New Zeland Herald a salué l’arrivée au pouvoir de la travailliste Jacinda Ardern, propulsée, jeudi 19 octobre, première ministre d’un gouvernement de coalition, près de quatre semaines après un scrutin législatif qui la mettait pourtant en position délicate. Mais c’est « dans les missions impossibles que Jacinda Ardern se révèle », rappelle le site d’informations News Hub.

Car ce n’est que sept semaines avant l’élection que cette ancienne policière de 37 ans, élue travailliste depuis 2008, a pris la tête de son parti. Son prédécesseur, Andrew Little, avait préféré jeter l’éponge, alors que le Labour affichait son plus faible score dans les sondages depuis vingt ans.

Le pari pour le moins compliqué de Jacinda Ardern : « Restaurer la confiance dans le Parti travailliste en s’appuyant notamment sur le Parti écologiste, pourtant autant dans la tourmente populaire », rappelle le New Zeland Herald. Face à elle, un Parti national libéral, au pouvoir depuis 2008 mais dont les idées dominent la scène politique depuis quarante ans, conforté par les bilans économiques positifs de l’ancien premier ministre, John Key.

« Are-you-having-kids-gate »

Mais la résignation ne fait pas partie de la « stratosphérique, météorique et sûrement un peu chanceuse » Jacinda Ardern, souligne le site d’informations néo-zélandais Noted. Dès le lendemain de sa nomination à la tête du Labour Party, Jacinda Ardern fait sa première interview télévisée. Interrogée par l’un des intervieweurs – un « homme d’une cinquantaine d’années », rappelle le quotidien britannique The Guardian – sur son choix entre avoir des enfants ou faire carrière, la grande brune tranche sèchement qu’il est « inacceptable que ce genre de question soit encore posé en 2017 », le doigt menaçant vers son interlocuteur.

Un « dénigrement sexiste », selon l’élue à la Chambre des représentants, qui bouscule le pays entier, créant un « are-you-having-kids-gate » (« allez-vous-avoir-des-enfants-gate ») dans la presse. « D’une certaine manière, cette question lors d’une émission de télévision a été la meilleure chose qui pouvait lui arriver ce jour-là », juge la chaîne britannique BBC :

« La controverse qui s’est ensuivie a assuré sa promotion à la “une” des journaux du monde entier, mettant en avant son profil et faisant disparaître son statut d’outsider. »

Dès lors est né ce que les médias néo-zélandais ont baptisé la « Jacinda-mania ». La candidate gagne 19 points dans les sondages en moins de trois semaines. Les dons, majoritairement de jeunes gens, pleuvent au siège du Labour – 3 500 nouveaux bénévoles débarquent au quartier général.

Le discours porté sur le « changement » et sa promesse d’un « nouveau style de politique », ajoutés au « charisme évident » de quelqu’un qui n’a « peur de rien » et un certain « sens du glamour », séduit, rappelle The Guardian. « Pour ceux qui à gauche ont souffert d’être impopulaires, elle est devenue une héroïne », note le quotidien. Le journaliste Bryce Edwards parle, lui, de « magie », qui « risque bien de durer neuf ans », soit deux mandats de premier ministre…

« La Sarah Palin de Nouvelle-Zélande »

En face, les critiques sont évidemment au moins aussi apathiques que l’enthousiasme suscité à gauche par celle qui a pour passion d’être DJ dans des soirées. Son adversaire au scrutin du 23  septembre, Bill English, évoque « un mirage », tandis que l’éditorialiste Matthew Hooton n’hésite pas à parler de « la Sarah Palin de Nouvelle-Zélande », en référence à l’ancienne égérie du Tea Party états-unien.

Même dans son propre parti, le programme défendu par Jacinda Ardern – réduire les coûts d’accès à l’université, favoriser l’accès au logement des familles aux revenus faibles, légaliser l’avortement, baisser les quotas migratoires – n’est pas du goût de tous. Elle est même taxée de « presque communiste » par un ancien membre du Parti travailliste, pour avoir annoncé vouloir taxer l’eau potable.

Mais celle qui a été élevée dans la religion mormone – avant d’y renoncer pour protester contre des positions qu’elle juge homophobes –, n’a visiblement pas complètement perdu la foi. La « non-conformiste néo-zélandaise », comme la décrit le quotidien australien The Australian, n’arrive pas en tête à l’issue du scrutin du 23 septembre, avec 36 % des voix contre 44,4 % pour le Parti national. Mais là encore, Jacinda Ardern parvient à inverser la vapeur en décrochant une précieuse alliance.

C’est que celle qui a survendu son image de « nouvelle venue » de la politique, façonnée sur Internet à grands coups de clip et de photomontage humoristique, n’est pas née de la dernière pluie politique. Jacinda Ardern « était déjà parvenue en 2008 à gagner la Chambre des représentants sans remporter le scrutin au nombre de voix, mais en bénéficiant de sa position privilégiée sur la liste du parti », rappelle Noted.

« “Games of Thrones” néo-zélandais »

Avec sa connaissance parfaite des équilibres politiques du pays, Jacinda Ardern s’est lancée, dès les résultats connus, à la conquête de celui qui serait le « faiseur de reine ou de roi » dans ce « Games of Thrones néo-zélandais » (en référence à la série américaine) : le dirigeant du parti Nouvelle-Zélande d’abord, Winston Peters.

Ce dernier a sans nul doute usé de sa position privilégiée. Le politicien d’origine maorie et écossaise, connu pour ses prises de position contre l’immigration asiatique et pour son protectionnisme, a maintes fois repoussé la date limite qu’il s’était lui-même fixée pour annoncer son choix. Mais à 72 ans il a opté pour « du changement plutôt que du statu quo », soulignant notamment que le programme environnemental de la travailliste avait été décisif. Un « chapitre audacieux dans la carrière remarquable de Winston Peters », note le New Zeland Herald.

A 37 ans, Jacinda Ardern est donc la troisième femme première ministre du pays, et la plus jeune depuis 1856. « Ardern sera un peu une première ministre étrangère », note l’éditorialiste Audrey Young, rappelant combien son arrivée sur la scène politique néo-zélandaise, d’ordinaire si familière, change la donne. Mais son « arrivée au pouvoir est déjà entrée dans la légende », conclut la journaliste, rappelant toutefois que « sa première tâche sera de convaincre qu’elle ne l’a pas volé ».