Situé au bord de la mer des Caraïbes, Choroní est un village à l’architecture coloniale prisé des habitants de Caracas comme des étrangers. Tout près de là se trouve le parc national Henri Pittier, plus de 100 000 hectares de montagnes couvertes d’une végétation luxuriante qui sépare Choroní du reste du Venezuela. Il n’y a pas si longtemps, on s’inquiétait de la disparition du jaguar et du puma, menacés par le nombre croissant de visiteurs.

Mais aujourd’hui, l’espèce en voie d’extinction, c’est le touriste étranger. « Il a pratiquement disparu et pourtant, il y a quelques années, on était complètement débordés. Au point qu’il avait fallu prendre des mesures pour limiter l’invasion », se souvient Marco Caputo, guide et biologiste marin. Le touriste local se fait lui-même de plus en plus rare. La crise économique a dévoré 35 % du revenu des Vénézuéliens en quatre ans, tandis que la crise politique a fini de faire fuir des étrangers déjà refroidis par l’insécurité qui règne dans le pays.

« Beaucoup de propriétaires de posadas sont partis, mais ont confié la clé à des gens de confiance. Ils font semblant d’être ouverts pour ne pas attirer les voleurs. » Marco Caputo, guide

Après l’installation d’une Assemblée constituante s’arrogeant les pleins pouvoirs en août, au mépris de manifestations monstres contre le régime de Nicolás Maduro, et l’explosion du nombre de prisonniers politiques, le Venezuela s’est vu imposer plusieurs séries de sanctions économiques par les Etats-Unis, puis par le Canada, qui pourraient être prochainement suivis par l’Union européenne. Sous pression, le gouvernement prépare l’opinion à une « guerre » avec les Etats-Unis, tandis que la capitale bruisse de rumeurs de coup d’Etat militaire et que l’opposition a promis de reprendre ses manifestations après les élections du dimanche 15 octobre, qui ont consolidé la mainmise chaviste sur 17 des 23 postes de gouverneurs régionaux.

Les rares touristes à s’aventurer encore jusqu’à Choroní n’ont pas froid aux yeux. Musique reggaeton à fond dans les haut-parleurs, taxis et bus bariolés foncent à toute allure dans les virages grimpant jusqu’à 1 500 mètres d’altitude (le sommet est à 2 500 m), avant de plonger vers la mer. Les chauffeurs font le signe de croix plusieurs fois pendant le trajet qu’ils refusent catégoriquement de faire de nuit. La route n’est plus entretenue comme avant, explique-t-on au village, mais avec tout ce qui ne va plus dans le pays, personne n’en fait un drame. « Beaucoup de propriétaires de posadas [petits hôtels] sont partis, mais ont confié la clé à des gens de confiance. Ils font semblant d’être ouverts pour ne pas attirer les voleurs », explique Marco Caputo. Les pêcheurs ont adopté une nouvelle technique : « Vous pouvez voir des pêcheurs de haute mer qui attrapent le poisson depuis la côte parce que leurs bateaux sont en panne et qu’il n’y a plus de pièce détachée. »

A Choroní, comme partout ailleurs dans le pays, les coupures d’électricité sont hebdomadaires, les antibiotiques font défaut, l’eau est rationnée, tout comme le bolivar, la monnaie nationale. Au point qu’il faut payer une commission à des intermédiaires pour se procurer des billets ! Le taux d’inflation, le plus élevé au monde, qui pourrait encore bondir à plus de 2 000 % l’an prochain selon le Fonds monétaire international, oblige à réévaluer sans cesse les prix.

Rosaura Rebolledo, propriétaire de l’un des établissements encore ouverts, ajuste ses tarifs chaque fois que le président Nicolás Maduro annonce une augmentation du salaire minimum, c’est-à-dire tous les deux mois. Elle ne demande que trois dollars et demi au cours actuel pour une chambre double dans une confortable posada avec piscine. « Sans le petit déjeuner ! » précise-t-elle, tarifé à environ un dollar. Une aubaine pour l’insaisissable touriste étranger, mais près du quart du salaire minimum vénézuélien.

Chute de 65 % des services touristiques en 2017

La raréfaction des touristes ne présente pas que des inconvénients. Elle a permis le retour des tortues menacées, qui pondent sur la grande plage. Là où des hordes de jeunes buvaient des guarapitas (le cocktail local) jusqu’à l’aube, des dizaines de bébés sont nés au cours de l’été. Le village a même reçu en février le soutien de Mission Blue, l’organisation américaine de défense des océans de l’exploratrice Sylvia Earle. C’est bien la seule chose que chavistes et opposants s’accordent à juger positive à Choroní.

Le Venezuela ne se satisfait évidemment pas de cette désaffection du tourisme. Dans le cadre d’un concours de la meilleure promotion touristique, organisé le 15 septembre par l’Organisation mondiale du tourisme, ministères et ambassades du Venezuela à l’étranger ont posté de belles images sur leur compte Twitter. Celles-ci montrent la splendeur du pays – une extraordinaire diversité de paysages avec des montagnes, des plages aux eaux cristallines, des déserts et un climat idéal toute l’année – mais font l’impasse sur la réalité : une chute de 65 % des services touristiques en 2017.

En trois ans, une dizaine de compagnies aériennes internationales ont quitté le pays. En cause, notamment, la détérioration des conditions de sécurité dans les aéroports ou encore la réduction comme peau de chagrin du nombre de vols intérieurs. Emmanuel Vieira, cofondateur de l’agence Soco Adventures, a trouvé une solution radicale : il fait désormais traverser son pays, plus grand que la France, en voiture à ses clients. « Il y a une telle mafia des billets qu’on ne peut jamais en acheter, mais quand on monte dans les avions, ils sont vides », justifie-t-il.

Alors que les vols étrangers à destination de Caracas sont loin d’être pleins, ceux au départ de la capitale sont saturés, pour cause d’exode. Il est bien loin le temps où Caracas était la seule ville d’Amérique latine desservie par le Concorde.

Par Lou Santiago