Sebastian Kurz au palais présidentiel autrichien à Vienne, le 17 octobre. / ALEX HALADA / AFP

Editorial du « Monde ». La leçon des élections générales en Autriche, dimanche 15 octobre, tient en une phrase : le populisme européen est toujours actif. La vague protestataire – eurosceptique et anti-immigration – que connaît l’Europe depuis quelques années ne meurt pas. Sebastian Kurz, l’homme de 31 ans qui, à la tête des conservateurs chrétiens (ÖVP), doit former le prochain gouvernement à Vienne, en sait quelque chose.

M. Kurz va devoir prendre une décision difficile et qui intéresse toute l’Union européenne (UE). Faut-il accepter de gouverner avec l’extrême droite, le Parti de la liberté (FPÖ) de Heinz-Christian Strache ? Contempteur de l’UE, dénonçant des flux migratoires qui bouleverseraient l’équilibre démographique du pays (8,7 millions d’habitants), le FPÖ, à occurrences régulières, a du mal à faire oublier cette double vérité : il a un passé nazi et certains de ses militants flirtent avec l’antisémitisme.

Le scrutin de dimanche pose une équation politique délicate à résoudre. Le parti de M. Kurz recueille 31,6 % des suffrages ; les sociaux-démocrates de Christian Kern 26,9 % ; en troisième position, le FPÖ réalise l’un de ses meilleurs scores, avec 26 % des voix. Reconduire l’une de ces coalitions droite-gauche qui gouvernent le pays depuis soixante-dix ans, c’est ne pas tenir compte de la lassitude qu’elles provoquent dans l’électorat. Nombre d’Autrichiens y voient un « système » politique devenu dysfonctionnel, usé et relevant d’une reproduction élitiste incestueuse. La reconduction d’une telle coalition pourrait gonfler plus encore l’audience de l’extrême droite.

L’opinion s’inquiète

Mais s’allier avec celle-ci – comme ce fut le cas en 2000 – est une affaire lourde de périls à venir. Le passé du FPÖ lui colle à la peau. Le rejet de l’UE est l’un des éléments-clés de son ADN. Il exploite à plaisir, non sans relents xénophobes, le thème de l’immigration. L’Autriche a été accueillante, lors des guerres des Balkans, et l’un des pays les plus ouverts au moment de la vague d’immigration moyen-orientale de 2015. Mais l’opinion s’inquiète. M. Kurz lui-même a dû singulièrement durcir son discours sur l’immigration pour arriver en tête. En réclamant le ministère de l’intérieur, le FPÖ ne lui facilite pas la tâche.

L’immigration reste au cœur du mouvement protestataire et anti-élites européen. Ce thème marque la scène politique de part et d’autre du continent : Autriche, Allemagne (avec la percée de l’ultradroite en septembre), Pays-Bas, Danemark, Finlande, Grande-Bretagne (Brexit), etc. Même en mai, une élection française ne fait pas le printemps : le succès d’Emmanuel Macron n’efface ni le niveau de l’abstention ni le score du Front national. A Varsovie et à Budapest, des partis nationalistes sont au pouvoir.

Sebastian Kurz doit être exigeant. Laisser le ministère de l’intérieur au FPÖ est, en tout état de cause, un risque à ne pas courir. Mais l’impossible situation dans laquelle se retrouve le chef de l’ÖVP concerne tous les responsables européens. L’UE ne donne pas le sentiment qu’elle a érigé en priorité numéro un la gestion des flux migratoires. Elle ne dit pas que cette affaire n’a rien de conjoncturel mais qu’elle va marquer le reste du siècle.

Il n’y a pas pour l’UE de question plus urgente à traiter en profondeur. Il faut y consacrer des moyens à la hauteur de l’enjeu. Il faut en parler tous les jours. Sauf à voir prospérer les peurs qui font le jeu des marchands d’illusions et de solutions simplistes – à Vienne ou ailleurs.