Reportage sur France 3 à 23 h 20

En 2008, le premier numéro de l’émission « Les Infiltrés » (France 2) s’était intéressé aux maisons de retraite, mettant en exergue des cas de maltraitance. Deux jours après sa diffusion, la secrétaire d’Etat à la solidarité de l’époque, Valérie Létard, convoquait la presse devant la maison de retraite pointée du doigt pour annoncer sa fermeture. Le prochain numéro de « Pièces à conviction », qui tente de percer les secrets d’un des business les plus profitables de France – celui des établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes ­ (Ehpad) –, suscitera-t-il autant d’indignation ? L’état des lieux dressé a en tout cas de quoi heurter.

Salaire net de 1 250 euros

Selon une étude de Logement-seniors.com, les Ehpad seraient en France au nombre de 7 883 et représenteraient un marché compris entre 25 milliards et 30 milliards d’euros. Chaque année, nous rappelle aussi la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), plus de 600 000 Français passent en moyenne les trois dernières ­années de leur vie dans ces ­établissements, dont près du quart sont des entreprises privées à but lucratif, gérées par de grands groupes. Leurs tarifs oscillent entre 2 000 et 5 000 euros par mois. Leurs publicités promettent des conditions de vie dignes des meilleurs hôtels.

Qu’en est-il vraiment ? Le réalisateur est allé à ­Foucherans (Jura), dans un Ehpad qui, en 2016, a dégagé quelque 300 000 euros de bénéfices. Pourtant, au printemps, les aides-soignants y ont mené une grève de 117 jours afin d’obtenir de la direction davantage de moyens. Parmi les revendications d’Anne Sophie, aide médico-psychologique qui, pour un salaire net de 1 250 euros, travaille plus de dix heures par jour, dont deux dimanches par mois : la mise en place d’une prime pour les dimanches et surtout du personnel supplémentaire pour faire face aux 42 résidents qu’elle doit coucher en une heure tous les soirs. « On les jette dans le lit, on n’a pas le choix », ­regrette-t-elle. Dans le même temps, nous est révélé que l’établissement de Foucherans héberge régulièrement 77 résidents au lieu des 75 autorisés, et fait de l’accueil de jour sans y être habilité.

PIECES A CONVICTION. Maisons de retraite : les secrets d’un gros business / CAT & Cie

L’enquête de Xavier Deleu met en lumière un dépassement ­généralisé du taux d’occupation légal des maisons de retraite, possible grâce à des combines telles que le dédoublement de lits dans les chambres les plus grandes. En toute illégalité, d’autres vont même jusqu’à proposer au personnel une prime de remplissage.

Plus sordide, le décès d’un résident en début de mois profite à certains Ehpad qui facturent ainsi la chambre deux fois : à la famille du défunt et au nouveau pensionnaire. Parmi les autres économies de bouts de chandelle, le rationnement de la nourriture et des produits d’hygiène est courant. Ainsi, le prix consacré aux trois repas d’une journée est de 4,35 euros en moyenne.

Pourtant, depuis la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et de la Journée nationale de solidarité (lundi de Pentecôte) après la ­canicule de 2003, l’argent ne manque pas. Les maisons de retraite se partagent 8,2 milliards d’euros. Une somme qui profite également aux établissements privés, financés par de l’argent public à hauteur de 3,9 milliards d’euros. L’Etat, lui, semble avoir le plus grand mal à contrôler ce qui se passe derrière ces murs. Là où nous conduit cet excellent documentaire, hélas diffusé tardivement, en deuxième partie de soirée.

Maisons de retraite : les secrets d’un gros business, de Xavier Deleu (Fr., 2017, 70 min)