Et si le Brexit était un mauvais rêve, si le Royaume-Uni ne l’avait pas valablement décidé ? Un groupe de juristes, de professeurs et de chefs d’entreprise militants proeuropéens veulent faire dérailler le processus de sortie de l’Union européenne (UE). Jeudi 19 octobre, alors que s’ouvre à Bruxelles un sommet qui doit prendre acte de l’impasse des négociations, ils ont annoncé à Cardiff (pays de Galles) leur intention de déposer en justice un recours contestant la légalité de la décision de Theresa May d’engager la procédure de divorce avec l’UE.

Selon eux, la décision britannique d’activer l’article 50 du traité de Lisbonne, qui prévoit la procédure de sortie de l’UE, n’a pas été prise en conformité avec la Constitution du royaume. « L’élément-clé qui manque est une décision claire et valide de quitter l’UE », ont-ils estimé au cours d’une conférence de presse.

Ni le référendum de juin 2016 – purement indicatif, selon eux – ni la courte loi votée en mars autorisant la première ministre à enclencher l’article 50 ne constitueraient, à les entendre, une décision valide. Osée, leur démarche fait écho à celle, couronnée de succès, qui avait abouti, en janvier à l’arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni contraignant Mme May à consulter le Parlement avant d’engager le Brexit.

Mère de famille galloise

Ce premier recours victorieux avait été déposé par Gina Miller, une gestionnaire de fonds de la City, cible depuis lors d’une campagne de haine. Cette fois, la plaignante est Liz Webster, une mère de famille galloise, militante du Parti libéral démocrate (proeuropéen). Depuis que son fils a été grièvement blessé en 2007 dans une attaque au couteau dans son établissement scolaire, elle a milité publiquement pour obtenir une enquête et plus largement pour les droits humains, dont elle estime l’UE garante, et contre la violence.

Défendant le système parlementaire britannique contre la « tyrannie » du référendum, Mme Webster estime que le vote de 2016 a « polarisé » le pays au point de compromettre « la paix, la tolérance et la sécurité ». Elle estime que la procédure suivie par Mme May dépourvue de « fondements légaux » est « gênante et politiquement néfaste ».

« Sondage d’opinion géant »

Pour les auteurs du recours, le référendum sur le Brexit n’était « rien de plus qu’un sondage d’opinion géant » et en aucune façon une décision valable constitutionnellement. Ils s’appuient sur l’arrêt de la Cour suprême du 24 janvier qui, pour donner raison à Gina Miller et exiger un vote du Parlement, avait estimé que, même si « le référendum de 2016 a une grande importance politique », la question posée aux électeurs ne disait rien de précis sur les conséquences d’un vote en faveur du Brexit.

Malicieux, les proeuropéens citent aussi Margaret Thatcher qui, en 1975, estimait que « le référendum est un outil tactique propre à surmonter une division dans son propre parti et dont les conséquences constitutionnelles sont de ce fait d’une importance secondaire ».

Après la décision de la Cour suprême, soutiennent-ils, en outre, le gouvernement de Mme May, considérant que le référendum valait décision, n’a pas demandé aux députés de valider la décision de sortir de l’UE. Le 13 mars, le Parlement a simplement approuvé un projet de loi qui, en deux lignes, autorisait la première ministre à activer l’article 50 par une large majorité incluant la plupart des députés travaillistes soucieux de respecter « la volonté du peuple ». Le texte en question « vise simplement à autoriser le gouvernement à mettre en œuvre une décision déjà prise », avait alors expliqué à Westminster le ministre de la sortie de l’Union européenne, David Davis.

« Monter » jusqu’à la Cour suprême britannique

Les protestataires vont saisir une Haute Cour britannique de la question de savoir si « la décision du Royaume-Uni de se retirer de l’UE a été prise conformément aux exigences constitutionnelles ». Ils espèrent que leur recours « montera » jusqu’à la Cour suprême britannique, gardienne de la Constitution, voire jusqu’à la Cour de justice de l’UE, gardienne de la législation européenne, et donc de l’article 50 du traité de Lisbonne utilisé pour le Brexit.

Le Royaume-Uni « est confronté aux difficultés les plus graves qu’il ait connues depuis 1940 à cause du Brexit », a estimé, jeudi, Antony Grayling, professeur de philosophie à l’université Birkbeck de Londres, figure de prou des opposants au Brexit, qui a mis en garde contre les conséquences d’une procédure « qui pourrait être engagée sur des bases fausses et illégales ».

Tout en prétendant agir aussi bien dans l’intérêt des défenseurs que des adversaires du Brexit, les promoteurs du recours n’ignorent pas que leur geste revient à demander l’arrêt du processus de sortie de l’UE. Le Parlement de Westminster compte une majorité de députés qui y sont hostiles. Exiger un vote de leur part sur la sortie de l’UE au nom de la souveraineté parlementaire revient à contrarier le vote des électeurs qui, eux, ont approuvé le Brexit à 52 %.

En ces temps de polarisation extrême de la vie politique britannique, il en faut bien moins que cela pour être qualifié de « traître » par les partisans du Brexit.