L’affaire avait émergé en 2008 dans une pharmacie du Gard dont les exploitants étaient suspectés de frauder la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) en falsifiant des ordonnances et en surfacturant certaines prestations. L’enquête des gendarmes et du fisc avait permis de révéler un système de fraude fiscale. La pharmacienne et son mari avaient reconnu qu’ils dissimulaient environ 9 000 euros chaque mois grâce à un logiciel informatique de la société Alliadis permettant automatiquement de minimiser les recettes de l’officine.

Le parquet a requis une amende de deux millions d’euros contre Alliadis estimant que la complicité de fraude était constituée, avec pour toile de fond « un système quasi mafieux, du plus haut au plus bas ». Il a également réclamé trois ans de prison avec sursis et une amende de 30 000 euros pour le couple de pharmaciens. Ce dernier a par ailleurs payé ses dettes fiscales après un redressement de 137 000 euros.

Vendredi 20 octobre, ils ont réitéré avec une certaine franchise leurs aveux et indiqué que la fraude était grandement facilitée par ce logiciel puisqu’il suffisait de quelques manipulations informatiques pour effacer les opérations en liquide. La société Alliadis comparaissait aux côtés du couple. « On a été trop naïfs, a reconnu le mari. Mais quand on a la possibilité d’effacer… »

La présidente du tribunal Christine Ruellan a demandé à l’ancienne pharmacienne de Remoulins si cette affaire n’avait pas terni l’image de la profession.

« Si, peut-être, mais on n’est pas les seuls, il y a 4 300 pharmacies concernées, a précisé la prévenue à la barre.

– Que souhaitez-vous pour l’avenir ?, a interrogé la magistrate.

– Que la profession soit plus encadrée, davantage contrôlée », a répondu la quadragénaire qui a aujourd’hui quitté la région.

Les débats ont également mis en exergue l’importance de l’argent occulte dans certaines officines. Ce qui constituerait, selon le couple de pharmaciens, un argument de vente dans les transactions des établissements.

« Des fonctions de correction »

L’audience a aussi permis de révéler que dans le prolongement de cette affaire, des poursuites pénales pour fraude fiscale ont été engagées contre 150 pharmaciens en France. Mais à Nîmes, c’était la première fois que le fabricant de logiciel était renvoyé en correctionnelle pour complicité. A cet égard, le responsable d’Alliadis a contesté la thèse d’un logiciel conçu structurellement pour frauder le fisc. Il a évoqué « des fonctions de correction ». Pourtant, le système informatique permettait d’effacer des pans entiers de la comptabilité et de faire disparaître les traces.

La société Alliadis appartient à un groupe présent sur cinq continents, emploie 8 000 personnes et affiche un chiffre d’affaires de plus de 900 millions d’euros. Me Christian Barnouin, l’avocat de la CPAM du Gard, partie civile dans cette affaire et à l’initiative de ce dossier, a déclaré qu’il n’avait jamais vu « une fraude aussi caractérisée » en vingt-neuf ans de carrière. François Schneider, le procureur de la République adjoint de Nîmes, a aussi estimé que les expertises informatiques confirmaient l’aspect permissif du logiciel : « Le modèle économique d’Alliadis repose là-dessus. »

Me Olivier Baratelli, l’avocat de l’entreprise a longuement plaidé la relaxe estimant que les charges ne tenaient pas pour valider la thèse du juge d’instruction.

Jugement le 24 novembre.

Hocine Rouagdia (Nîmes, correspondance)