C’est la plus grave crise politique que traverse l’Espagne depuis qu’elle a renoué avec la démocratie, en 1977. Semaine après semaine, le gouvernement espagnol et la Catalogne, qui menace de faire sécession, n’en finissent pas de se tenir tête. Alors que débute une semaine décisive avec l’adoption attendue des mesures drastiques du gouvernement espagnol pour reprendre le contrôle de la région, les dirigeants indépendantistes laissent planer le doute sur leurs intentions, contribuant à renforcer un peu plus le flou. Le point sur la situation.

Quel est le calendrier fixé par Madrid ?

Lors d’un conseil des ministres extraordinaire, Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, a annoncé les mesures concrètes qui seront soumises au vote du Sénat, dans le cadre de l’article 155 de la Constitution. / JUAN MEDINA / REUTERS

Samedi, lors d’un conseil des ministres extraordinaire, le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a annoncé qu’il allait demander au Sénat la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution. Celui-ci permet la mise sous tutelle des régions qui menacent « gravement l’intérêt général ». Le Sénat devrait voter ces mesures en séance plénière vendredi 27 octobre.

L’objectif annoncé est de « rétablir la légalité ». Les conservateurs espagnols font valoir que ces mesures doivent « restaurer » la démocratie en Catalogne, où la population est divisée sur l’indépendance, presque à parts égales.

Comment la tutelle imposée à la Catalogne se traduira-t-elle ?

L’exécutif demande la destitution du président du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, et de ses ministres régionaux, qui sont déjà tous mis en examen pour « désobéissance, abus de fonction et malversation de fonds publics » pour avoir signé le décret de convocation du référendum d’autodétermination illégal du 1er octobre.

Les différents ministères espagnols contrôleront directement de Madrid le fonctionnement de la Généralité (l’exécutif catalan) pour une durée maximale de six mois, avec en ligne de mire l’organisation d’élections régionales, « aussitôt restaurée la normalité » en Catalogne, probablement au début de 2018.

La mise sous tutelle s’effectuera de manière graduelle, en descendant dans les échelons administratifs autant que nécessaire et en relevant les fonctionnaires récalcitrants pour faire respecter l’autorité de Madrid.

Le gouvernement espagnol demande également au Sénat de limiter les compétences du Parlement catalan et de lui octroyer le pouvoir de dissolution. La chambre catalane ne pourrait plus convoquer de sessions de contrôle de la Généralité, ni de séances plénières sur des sujets se rapportant à l’article 155.

De son côté, le gouvernement espagnol devra rendre compte de son action en Catalogne tous les deux mois devant le Sénat.

Quels domaines seraient visés par les mesures de contrôle ?

Les Mossos d’Esquadras, la police régionale catalane, devant le parlement régional, le 10 octobre, à Barcelone. / RAFAEL MARCHANTE / REUTERS

Trois aires de compétences propres à la Catalogne seraient particulièrement touchées par la mise sous tutelle :

  • Le ministère de l’intérieur espagnol prendra le contrôle direct des Mossos d’Esquadra, la police régionale, dont le chef, actuellement mis en examen pour sédition, devrait être destitué. En cas de besoin, il pourra substituer aux Mossos « des effectifs des forces et corps de sécurité de l’Etat ».
  • Le ministère des finances devra « garantir » qu’aucun fonds public ne sera versé à des « organismes ayant des relations avec le processus sécessionniste ».
  • Le gouvernement prendra le contrôle des médias audiovisuels publics pour, avance-t-il, garantir la « transmission d’une information véridique, objective et équilibrée ». Cette mise sous tutelle est l’une des mesures les plus contestées de l’application de l’article 155, les médias visés dénonçant une prise de contrôle menaçant, selon eux, « leur indépendance ». Depuis des semaines, la chaîne de la télévision publique catalane TV3 et la station Catalunya Radio sont au cœur de la polémique, accusées par les anti-indépendantistes de manipulation et de diffuser une information partiale.

Ces mesures sont-elles légales ?

Certains juristes émettent des doutes sur la constitutionnalité des mesures proposées par M. Rajoy. Le professeur de droit constitutionnel à l’université de Barcelone Xavier Arbos estime ainsi que la mise sous tutelle du Parlement est un empiétement du pouvoir exécutif sur le législatif.

Comment le gouvernement catalan réagit-il ?

Les indépendantistes, majoritaires au Parlement de Catalogne, ont annoncé lundi qu’ils prévoyaient la tenue d’une séance plénière de cette assemblée dès jeudi. / Manu Fernandez / AP

Samedi soir, M. Puigdemont a dénoncé une atteinte à l’Etat de droit, qualifiée de « plus forte attaque » contre la région depuis la dictature franquiste. S’il n’a pas prononcé le mot « indépendance », le président du gouvernement catalan a demandé que les parlementaires catalans se réunissent pour décider de la réponse à apporter aux mesures décidées par M. Rajoy.

La réunion du Parlement aura lieu jeudi 26 octobre, au matin, a annoncé, lundi, un porte-parole de la coalition indépendantiste au pouvoir, Ensemble pour le oui. Elle a également l’intention d’intenter un recours contre l’application de l’article 155 de la Constitution.

Quel peut être l’avenir personnel de Carles Puigdemont ?

Plus que jamais, Carles Puigdemont se trouve pris entre deux feux. / GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR LE MONDE

M. Puigdemont demeure le président de la Catalogne jusqu’au vote de l’article 155 par le Sénat, vendredi. Une fois l’article voté, il perdra tous ses pouvoirs et cessera d’être rémunéré, a prévenu, lundi, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Soraya Saenz de Santamaria. « Il n’aura plus de signature, il ne pourra plus prendre de décisions valables, il ne touchera plus son salaire », a-t-elle ajouté, insistant sur le fait qu’il ne pourra plus jouir d’aucun bénéfice assorti à sa fonction.

Un représentant unique pourrait être temporairement nommé par Madrid pour gouverner la région une fois l’article 155 voté par le Sénat, a-t-elle dit. La vice-présidente n’a pas précisé quelles mesures concrètes prendra le gouvernement si Carles Puigdemont désobéit.

D’ici à vendredi, deux voies s’offrent à M. Puigdemont : proclamer la République catalane ou se rétracter et, pour préserver l’autonomie de la région, convoquer de nouvelles élections régionales, qui désactiveraient de fait l’article 155. Pour l’heure, il n’a annoncé ni l’un ni l’autre. « Nous agirons en conséquence », s’est-il contenté de déclarer samedi 21 octobre, en demandant au Parlement de se réunir.

Faut-il s’attendre à de nouvelles mobilisations ?

Mobilisation des indépendantistes catalans, dimanche 21 octobre, à Barcelone. / PAU BARRENA / AFP

Le parti d’extrême gauche catalan Candidature d’unité populaire (CUP), allié-clé de la coalition au pouvoir menée par M. Puigdemont, a promis, lundi, d’orchestrer une campagne de « désobéissance civile massive » si le gouvernement central prend le contrôle de la région.

« Si la garde civile entre dans les institutions catalanes, (…) il y aura une résistance très dure, pacifique », comme lorsque des milliers d’électeurs se sont massés devant les bureaux de vote le 1er octobre pour les protéger, prévient également Ruben Wagensberg, membre du collectif Debout pour la paix.