Des opposants au mariage homosexuel manifestent à Sydney, le 23 septembre. / Jason Reed/Reuters

Le regard rivé sur son portable, un homme marche d’un pas rapide vers l’objectif indiqué sur la carte de son écran. Une fois sa mission accomplie, il gagnera des points d’action, pourra débloquer des badges et figurera peut-être au tableau d’honneur de l’application. Un ado à la recherche de Pokémon ? Non, un opposant au mariage pour tous en route vers l’adresse d’un électeur présumé indécis. En Australie, alors que le gouvernement conservateur organise, du 12 septembre au 7 novembre, une enquête postale pour demander l’avis de la population sur un amendement de la loi définissant le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, le camp du non a lancé un nouvel outil controversé intitulé « Freedom Team ».

Développée par une société américaine, uCampaign (qui a notamment travaillé pour les campagnes de Donald Trump et des pro-Brexit), cette application offre un kit intégral pour les militants afin d’optimiser le traditionnel porte-à-porte tout en utilisant les mécanismes du jeu. « Elle est très efficace pour diriger nos volontaires », explique David Van Gend, membre de la Coalition for Marriage, organisation à l’origine de l’initiative. « Inquiétant », rétorque Alex Greenwich, porte-parole du groupe Australian Marriage Equality, dans le camp adverse. Il dénonce, en particulier, la mise à disposition d’adresses personnelles d’Australiens.

« Je n’utilise habituellement pas ce genre d’outil, mais c’est très bien fait et facile d’accès. » Mike, homosexuel chrétien

Au centre du dispositif : l’onglet « actions » et l’option « parle à tes voisins ». En un clic, un plan apparaît. Grâce à la géolocalisation, il indique les lieux d’habitation de personnes vivant à proximité et n’ayant pas encore été contactées. Il suffit d’un autre clic pour que le chemin le plus court vers l’adresse sélectionnée s’affiche en bleu. Une fois sur place, le militant peut utiliser les tutoriaux mis à sa disposition pour dérouler son argumentaire. « Ne regardez pas vos écrans pendant la conversation, n’oubliez pas de sourire », conseille notamment une vidéo. Un texte explique aussi comment répondre à une série de questions fréquemment posées. « Pourquoi détestez-vous autant les lesbiennes et les gays ? », propose, par exemple, le document. Réponse suggérée : « Je ne déteste personne. Je suis préoccupé par le fait que changer la loi sur le mariage puisse avoir des conséquences indésirables. »

« Je n’utilise habituellement pas ce genre d’outil, mais c’est très bien fait et facile d’accès », se réjouit Mike, lui-même homosexuel mais qui, fervent chrétien, pratique l’abstinence et s’oppose à l’union entre personnes du même sexe « par respect pour Jésus Christ qui a sacrifié sa vie pour nous ». Ce quadragénaire au physique sportif apprécie particulièrement les notifications quotidiennes et le fil d’infos, qui tisse un lien entre les militants. Mais comme d’autres, il s’inquiète des « saboteurs ». Les partisans du oui qui téléchargent eux aussi le programme pour faire disparaître les adresses de leurs voisins grâce à des visites fictives.

Un tollé sur les réseaux sociaux

Dès sa sortie, l’application a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, nombre d’Australiens fustigeant son caractère intrusif et s’interrogeant sur la provenance des données. La Coalition for Marriage, qui reste floue sur le sujet, explique qu’elle utilise des informations publiques, souligne qu’il y a davantage de données privées dans les Pages blanches de l’annuaire que dans son programme et dénonce à son tour les méthodes du camp adverse, qui a inondé la population de textos.

Après des années d’impasse politique, c’est la première fois que les 16 millions d’électeurs du pays sont appelés à s’exprimer sur l’autorisation du mariage pour tous. Si, comme l’indiquent les sondages, une majorité d’entre eux s’y déclare favorable, un vote sera organisé au Parlement avant la fin de l’année.