Pour « Le Monde », portraits de céréaliers qui témoignent sur leur utilisation, ou non, du glyphosate. Ici, Yves Chantereau, agriculteur dans le Loir-et-Cher, qui essaie de diminuer l'utilisation du glyphosate dans ses pratiques (ici, dans un champ de cassis pour lequel il déclare, en revanche, ne pas pouvoir se passer du produit). / CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"

En finir avec le glyphosate d’ici à cinq ans : voilà ce que souhaiteraient les députés européens. Mardi 24 octobre, lors de la séance plénière du Parlement européen à Strasbourg, les élus ont adopté à 355 voix pour, 204 contre et 111 abstentions, une résolution demandant l’interdiction progressive de cette substance pesticide en cinq ans, soit deux ans de plus que prévu initialement dans le texte présenté à la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) la semaine dernière. Les députés réclament en revanche son interdiction dans les usages non professionnels et dans les espaces publics – c’est déjà le cas en France depuis janvier –, dès le 15 décembre.

« Souhaiteraient » – car cette résolution des élus européens n’a pas de valeur contraignante. Le texte n’en représente pas moins un puissant signal politique en direction des gouvernements des Etats membres. Ils doivent, eux, se prononcer mercredi 25 octobre dans la matinée. Les représentants de ces derniers, réunis au sein d’un comité spécialisé, devront voter pour ou contre la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dix ans l’homologation du glyphosate. Mis sur le marché par Monsanto en 1974, l’ingrédient actif du Roundup est devenu l’herbicide le plus utilisé au monde. Sa licence arrive à échéance dans l’Union européenne le 15 décembre.

Lettre ouverte sous forme de plaidoyer

La France ayant annoncé son intention de voter contre le renouvellement pour dix ans, et l’Allemagne penchant pour l’abstention, il semble fort improbable que la Commission obtienne la majorité qualifiée nécessaire mercredi (55 % des Vingt-Huit, représentant 65 % de la population de l’UE). Une réautorisation pour une durée inférieure – entre trois et sept ans – semble maintenant inévitable. Mais il revient aux Etats membres de mettre des propositions concrètes sur la table afin que la Commission les intègre.

Il ne reste donc plus que quelques heures pour avancer ses pions dans un dossier devenu politiquement très sensible et suivi de près par l’opinion publique. Pour leur part, les industriels continuent de souhaiter que le glyphosate soit réautorisé… pour quinze ans. Ils ont réitéré leur demande dans un courriel, reçu par tous les eurodéputés la veille de leur vote en plénière, lundi 23 octobre. En pièce jointe du message envoyé par l’organisation européenne de lobbying pour le secteur des pesticides (ECPA), une lettre ouverte de plaidoyer en faveur du glyphosate commence par ces mots : « Cher décideur , sil vous plaît, ne laissez pas l’émotion éroder lentement nos processus réglementaires et nous mener tels des somnambules vers une crise de la production alimentaire en Europe. »

Publiée le 17 octobre dans Politico Europe, cette missive est signée par quatre organisations de lobbying pour les pesticides (ECPA), les biotechnologies (Europabio), les exploitants agricoles (COPA-COGECA, dont la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA), les céréaliers (Coceral). Un cinquième signataire, le Consumer Choice Center, est une émanation récente des cercles ultralibéraux américains.

Au cours du week-end, la plupart de ces organisations ont également eu l’occasion de se faire entendre auprès d’autres « chers décideurs » dans un décor de carte postale à Trévise, près de Venise (Italie). Financé par le secteur agricole, le cercle de réflexion Farm Europe avait en effet convié, selon sa propre comptabilité, « 200 responsables économiques et politiques de 13 Etats membres » pour participer à une conférence. Etaient annoncés au programme comme intervenants plusieurs eurodéputés, les ministres italiens de l’agriculture et de l’environnement, des hauts fonctionnaires de la Commission, ainsi que Catherine Geslain-Lanéelle, directrice générale de la performance économique et environnementale des entreprises au ministère français de l’agriculture, et par ailleurs ancienne directrice de l’EFSA. « Toute distorsion supplémentaire de la concurrence au sein du marché unique doit être évitée, en particulier quand il s’agit de réglementations environmentales », les a avertis Farm Europe. Les agriculteurs étaient notamment représentés par la FNSEA et sa présidente, Christiane Lambert, et les industriels par le groupe allemand Bayer, qui est en train de racheter Monsanto.

Du côté des opposants au glyphosate, une délégation représentant plus de 100 ONG a été reçue par le commissaire à la santé chargé du dossier, le Lituanien Vytenis Andriukaitis. Les militants étaient venus lui présenter l’« initative citoyenne européenne » (ICE) demandant l’interdiction du fameux herbicide. Introduit par le traité de Lisbonne en 2009, cet outil de démocratie participative a collecté plus d’un million de signatures.

Interrogations

En sus d’interdire le glyphosate, il demande à la Commission « de réformer la procédure d’approbation des pesticides et de fixer à l’échelle de l’UE des objectifs obligatoires de réduction de l’utilisation des pesticides ». Une demande qui semble bien refléter l’opinion publique. Selon un sondage publié mardi, réalisé pour le groupe de consommateurs SumOfUs sur un échantillon de 5 000 personnes, environ 80 % des personnes interrogées souhaiteraient que le glyphosate soit immédiatement interdit.

La Commission appuie sa proposition en faveur d’une nouvelle homologation de dix ans sur les évaluations d’agences réglementaires officielles. En 2015 et 2017, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ont en effet examiné les données scientifiques sur le glyphosate, soumises par les firmes qui le commercialisent. Elles ont toutes deux conclu que le pesticide ne posait pas de problème pour la santé humaine. Mais au contraire, l’agence de référence des Nations unies, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’a déclaré, en mars 2015, cancérogène probable pour les humains. Les documents internes à la firme agrochimique, surnommés « Monsanto Papers », rendus publics dans le cadre de procès aux Etats-Unis, ont jeté le doute sur les études financées par Monsanto.

Cette divergence considérable entre agences a suscité de nombreuses interrogations. Scientifiques, ONG et élus aux niveaux européens et nationaux remettent en cause le processus d’évaluation des pesticides, dépendant des données des fabricants des produits. En septembre, l’organisation non gouvernementale Global 2000 avait révélé que des passages essentiels du rapport préliminaire de l’EFSA sur le glyphosate avaient été intégralement recopiés depuis le dossier fourni par les industriels.