Les accidents impliquant des piétons ont beaucoup augmenté ces dernières années. / JOHANNES EISELE / AFP

A compter de mercredi 25 novembre, les habitants d’Honolulu, la capitale d’Hawai, ont l’interdiction de pianoter sur leur mobile en traversant la rue. Plus largement, ils doivent cesser de consulter l’écran de leur smartphone dès qu’ils mettent un pied sur la route. Ils conservent toutefois le droit de téléphoner en traversant. Ces interdictions font l’objet d’une loi votée par le conseil municipal de la ville. Une amende de 15 à 35 dollars (16 à 30 euros) est prévue, majorée en cas de récidive. La contravention maximale monte à 99 dollars (84 euros).

La municipalité d’Honolulu n’est pas la première institution américaine à tenter de restreindre l’usage du mobile sur la voie publique. Dans cinq autres Etats américains au moins des projets comparables ont subi des échecs législatifs. Toutefois, Rexburg, une ville de l’Etat d’Idaho, a pu voter en 2011 une loi interdisant de rédiger un texto en traversant. « Nous n’avons pas eu de décès de piéton depuis », a argumenté la mairie lundi 23 octobre dans les colonnes du New York Times.

Un contexte de multiplication des accidents

Aux Etats-Unis, les accidents mortels de piétons ont progressé de 22 % entre 2014 et 2016, selon l’association des gouverneurs d’Etat sur la sécurité des autoroutes (GHSA). En France aussi, les chiffres de la Sécurité routière indiquent une tendance à la hausse. Les accidents mortels de piétons ont progressé de 15 % depuis 2010, alors qu’ils avaient diminué de 41 % entre 2000 et 2010. En 2016, près de 500 piétons ont trouvé la mort dans une collision avec un véhicule. Dans les villes françaises en 2011, un accident mortel sur trois concernait un piéton, selon une étude de la Commission européenne.

En dix ans, le taux d’équipement des Français en smartphones est passé de quelques pourcents à plus de 65 % – les smartphones ont multiplié l’usage du mobile. Plus que jamais, les piétons sont tentés de pianoter sur leur smartphone dans la rue. L’image saisissante des « zombies du téléphone » marchant les yeux rivés à leur écran est progressivement devenue populaire. De nombreuses vidéos illustrent les déboires de piétons immergés dans leur téléphone, tombant ou butant sur un obstacle, parfois jusqu’au drame.

Plusieurs études pointent les effets délétères des smartphones sur la concentration des piétons. Dès 2012, le Pew Research Center affirmait que 23 % des propriétaires de mobile américains avaient déjà heurté une autre personne, faute d’attention. Un chiffre en hausse de cinq points depuis l’étude publiée deux ans plus tôt. Les propriétaires de smartphone étaient deux fois plus sujets à ce problème que les propriétaires de mobiles classiques. Par ailleurs, 70 % des jeunes adultes disaient avoir déjà heurté une autre personne car l’un ou l’autre consultait son smartphone.

Une spectaculaire réduction du champ visuel

Très récemment, un article du Journal of Exercise of réhabilitation pointait la diminution de la disponibilité cognitive des piétons absorbés dans leur mobile. De leur côté, les chercheurs de l’opérateur japonais NTT Docomo ont constaté une spectaculaire réduction du champ visuel de 95 % lorsque nous regardons l’écran de notre smartphone. Ces mêmes chercheurs ont imaginé une simulation qui amplifie le problème. Si 1 500 personnes traversaient ensemble l’immense carrefour de Shibuya, à Tokyo, en regardant leur écran, il en résulterait 103 chutes et 446 collisions.

La distraction visuelle n’est pas l’unique danger qui menace les piétons équipés d’un smartphone. Les écouteurs qui diffusent de la musique à fort volume coupent l’utilisateur de précieuses informations sonores émises à 360 degrés autour de lui. Pendant de longues années, le sénateur de New York, Karl Kruger, a d’ailleurs tenté d’interdire aux piétons les écouteurs à la traversée d’une rue, sous peine d’une amende de 100 dollars (85 euros).

L’usage du mobile est très répandu dans les villes françaises. Le centre de recherches en accidentologie de l’entreprise Dekra a mené une étude à Paris et dans cinq autres capitales européennes. Sur 14 000 personnes observées, 14,5 % des passants ont été jugés distraits, des chiffres situés dans la moyenne européenne. Dans les cinq capitales, 8 % des passants ont été vus en train d’envoyer un SMS ou de naviguer sur une application alors qu’ils traversaient la route. A plusieurs reprises, les chercheurs ont été témoins de « groupes de jeunes gens regardant un smartphone ensemble, tout en traversant une rue ». L’un d’eux aurait même percuté un cycliste.

Verbalisation et expérimentations

Avec cette omniprésence des smartphones, il pourrait être difficile de faire appliquer des règles comme celle d’Honolulu. Que se passerait-il si les autorités françaises réglementaient l’usage du mobile ? Les forces de police parviendraient-elles à verbaliser suffisamment pour faire diminuer son utilisation ? Cette amende serait-elle défendue énergiquement par les policiers, déjà fort occupés à faire respecter le copieux arsenal de contraventions prévues par le Code pénal ?

Plusieurs initiatives complémentaires méritent d’être mentionnées. En Allemagne, la municipalité d’Augsburg expérimente une signalisation lumineuse incrustée dans le sol. Les piétons absorbés par leur smartphone peuvent ainsi repérer au sol des lumières rouges leur indiquant un danger, qu’ils auraient probablement pas vu sans cela.

La régie de transport américaine TriMet a expérimenté, de son côté, un bus intelligent capable de détecter les piétons distraits, puis de signaler sa présence avec une alerte sonore ou lumineuse. Ce projet a fait l’objet d’une aide fédérale de 400 000 dollars (339 000 euros).

A Séoul, la métropole a décidé d’implanter 250 panneaux d’avertissement sur cinq sites particulièrement fréquentés par les jeunes.