La lutte contre l’épidémie de peste à Madagascar commence-t-elle à porter ses fruits ? Le nombre moindre de décès depuis quelques jours laisse entrevoir un possible tournant dans la propagation de la maladie qui a fait 124 victimes, dont un Français, depuis le mois d’août. Au ministère de la santé, le docteur Manitra Rakotoarivony se réjouit qu’une dizaine de districts – sur les quarante touchés – n’ait enregistré aucun décès depuis quinze jours, ce qui les autorise officiellement à décréter la fin de l’épidémie.

Le médecin reste néanmoins prudent. « Nous ne savons pas si la baisse de l’affluence dans les centres de santé traduit un recul de l’épidémie ou le fait que la population rechigne à se faire dépister », reconnaît M. Rakotoarivony, qui participe à la cellule de réponse à la peste coordonnée par le Bureau national de gestion des risques et catastrophes (BNGRC).

Le spectacle d’hôpitaux débordés, la crainte de décéder et d’être enterré loin du caveau familial ont pu inciter certains à retarder le moment de se rendre dans un centre de santé. Des vols de cadavre se sont produits, des malades ont fui les centres avant la fin du traitement. Pour rassurer les familles, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dû proposer un nouveau protocole qui permet de pratiquer les cérémonies funéraires traditionnelles dès lors que le mort a été désinfecté et placé dans un sac étanche.

Rites funéraires à risque

Les rites d’exhumation et de retournement des morts, le famadihana, sont des facteurs de transmission, même si le sujet demeure tabou. La bactérie responsable de la peste, Yersinia pestis, ne s’éteint pas avec le décès du malade. « Personne n’est capable de dire combien de temps la bactérie peut persister dans le corps. Plusieurs mois, plusieurs années ? Cela dépend des conditions d’humidité et des nutriments présents dans le sol », explique Anne-Sophie Le Guern, responsable du Centre national de référence de la peste à l’Institut Pasteur, à Paris. « Pour faire disparaître Yersinia, il faudrait incinérer les cadavres, mais cela se heurte à des pratiques culturelles fortement ancrées. »

La bataille contre la peste se joue aussi sur le front de l’information. Le ministère de la santé a dû créer une commission Rumeurs et craintes pour contrer toutes les fausses nouvelles qui alimentent les peurs dans la population : île bientôt mise en quarantaine, campagne de vaccination forcée même si aucun vaccin n’existe contre la peste…

Douze personnes appuyées par l’Unicef et l’OMS scrutent en permanence les réseaux sociaux et les informations publiées par les journaux. « Nous avons établi une liste d’influenceurs parmi les médias, les églises, les ONG, le secteur privé… auprès de qui nous ciblons des messages car ils peuvent être des relais importants », précise Jean-Benoît Manhes, le représentant adjoint de l’Unicef à Madagascar. Des spots d’information sont diffusés tous les quarts d’heure à la radio et 119 000 affiches ont été imprimées pour expliquer les consignes à suivre en cas de symptômes, dont 50 000 dans les écoles, que le gouvernement espère pouvoir rouvrir le 6 novembre.

Dans le même temps, une traque a débuté pour retrouver toutes les personnes ayant été en contact avec les pestiférés. « Il y a un énorme enjeu pour le contrôle de l’épidémie. On estime que, pour chaque cas, il faut contrôler 20 personnes. Nos enquêteurs vont voir les malades et leur famille et les interrogent sur ce qu’ils ont fait au cours des trois derniers jours. C’est difficile et coûteux », explique M. Manhes. Jusqu’à présent, moins de 30 % des « contacts » avec les 1 192 personnes infestées ont été identifiés.

Centres de santé débordés

A Antananarivo, la « task force » composée des membres du gouvernement, des agences onusiennes et des ONG ajuste au jour le jour la réponse à une épidémie d’une ampleur à laquelle personne n’était préparé. La peste, endémique à Madagascar, touche en moyenne 500 personnes par an sous sa forme bubonique transmise par les rats et cantonnée aux zones rurales des Hautes Terres. Cette fois-ci, elle se propage d’homme à homme par voie aérienne et elle a pris pied dans les deux plus grandes agglomérations de l’île.

D’autres maladies, présentes en cette saison, comme la grippe ou la pharyngite, aux symptômes semblables à la peste, brouillent les diagnostics. Pour ne pas prendre de risque, le personnel de santé n’attend plus que le test de détection rapide soit confirmé – ce qui demande plusieurs jours – pour administrer le traitement à base d’antibiotiques. « Le personnel qu’il a fallu former en urgence à l’utilisation de ces tests n’est pas encore toujours au point. Nous avons donc décidé de revenir, dans certains centres d’Antananarivo, à des diagnostics cliniques pour évacuer le plus vite possible les cas suspects vers des zones de confinement », indique le docteur Rakotoarivony. Cette surconsommation a pu entraîner des ruptures de stock.

La gestion des malades dans les centres de santé demeure une préoccupation. « Les centres continuent à être débordés. Nous devons réduire les risques de transmission en créant une barrière entre les unités de traitement de la peste et les autres services hospitaliers », décrit le directeur pays d’Action contre la faim, Olivier Le Guillou, dont l’organisation gère la logistique de deux centres de santé dans la capitale. La partie n’est pas gagnée. Mardi 24 octobre, l’Association des internes de médecine a menacé de ne plus assurer la prise en charge des malades si la distribution d’équipements de protection individuelle n’était pas garantie. Une trentaine d’internes aurait été contaminés.