Robert Boulin le 26 septembre 1979 sur le péron de l’Elysée, alors qu’il était ministre du travail dans le gouvernement de Raymond Barre. / MARCEL BINH / AFP

Le mystère de la mort de Robert Boulin, en octobre 1979, a toutes les apparences d’une affaire d’Etat. Trente-huit ans après, de nouvelles révélations viennent encore remettre en cause la thèse officielle du suicide. Une enquête du journaliste Benoît Collombat, qui travaille sur le sujet depuis quinze ans, sera diffusée jeudi 26 octobre au soir dans le magazine Envoyé spécial. Elle affirme sans ambages que « Robert Boulin a été tué ».

Qui était Robert Boulin ?

Ancien résistant, Robert Boulin était avocat avant le début de sa carrière politique, aux premières heures de la Ve République. Gaulliste, il est élu député en Gironde en 1958 puis devient, un an plus tard, maire de Libourne ; deux mandats qu’il occupera continûment jusqu’à sa mort.

Entre 1961 et 1979, il exercera des fonctions ministérielles sans interruption, se voyant confier huit portefeuilles ministériels différents sous trois présidents de la République.

Entre 1978 et 1979, il était ministre du travail sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Il est retrouvé sans vie le 30 octobre 1979, à l’âge de 59 ans, dans l’étang Rompu de la forêt de Rambouillet.

Sa mort est immédiatement présentée comme un suicide par noyade après l’absorption de barbituriques – ce que des analyses ultérieures ont démenti.

Quel était le contexte de sa mort ?

A l’époque, Robert Boulin était pressenti pour succéder à Raymond Barre à Matignon. Quelques semaines avant que son corps soit découvert, il avait été mis en cause dans une affaire – dite « de Ramatuelle » – d’acquisition irrégulière d’un terrain dans le Var. Il faisait l’objet d’une virulente campagne de dénigrement, relayée par la presse.

Son suicide a été attribué à une dépression due à cette affaire. Blanchi après sa mort, Robert Boulin, pour répondre à ces accusations, aurait constitué des « dossiers » sur des affaires troubles de son parti, le RPR, qui aurait orchestré les révélations à son encontre dans la presse. Il s’apprêtait à les poster avant d’être retrouvé mort.

Pourquoi sa mort pose-t-elle question ?

  • Une première autopsie contestable

Lors de la première autopsie, le procureur avait donné l’ordre aux médecins légistes de ne pas ouvrir le crâne – qui présentait pourtant des traces de coups –, avançant le refus de la famille, qui n’a pourtant jamais formulé son opposition.

En 1983, une seconde autopsie révèle des fractures au visage non mentionnées par la première, ainsi que des soins d’embaumement que la famille n’avait pas autorisés.

Par ailleurs, malgré la thèse péremptoire de la noyade dans l’étang Rompu, aucune analyse n’a été faite du contenu des poumons de Robert Boulin ; analyses qui auraient permis d’attester de la présence ou non d’eau de l’étang.

  • Disparitions de pièces cruciales du dossier

La famille avait porté plainte en 1988 pour destruction de preuves alors que les poumons de la victime, censés être sous scellés à l’institut médico-légal, avaient disparu, tout comme d’autres organes et les analyses sanguines (qui ne révélaient aucune trace de barbituriques).

Par ailleurs, la veille de sa disparition, Robert Boulin avait quitté son domicile en emportant des dossiers qui n’ont jamais été retrouvés, pas plus que la demi-douzaine d’enveloppes à en-tête du ministère du travail qu’un postier de Montfort-l’Amaury, dernier endroit où a été vu Robert Boulin, avait relevées ce jour-là.

  • Des incohérences dans l’explication de sa mort

La reconstitution n’a jamais eu lieu, et la chronologie paraît « troublante » à la fille de la victime. Le corps a été découvert à 8 h 40 le 30 octobre, alors que le premier ministre de l’époque, Raymond Barre, a écrit avoir été averti de la mort de son ministre à 3 heures du matin.

A 9 h 45, l’Agence France-Presse officialise son « suicide » après « l’absorption de barbituriques » alors qu’aucune enquête n’a été diligentée.

En outre, M. Boulin a été déclaré noyé dans l’étang Rompu, alors que son pantalon et ses chaussures ne portaient pas de traces de vase, et qu’il avait la bouche fermée lorsqu’il a été retrouvé.

Plus troublant encore, en 1988, il a été démontré que le corps avait été déplacé après sa mort.

Où en est l’enquête ?

Plusieurs plaintes ont été déposées par la famille depuis la mort de Robert Boulin. Une première a été déposée contre X pour homicide volontaire en 1983, et une seconde pour destruction de preuves en 1988. Dans les deux cas, une ordonnance de non-lieu a été rendue par la justice, en 1991 puis 1995.

A la fin des années 2000, plusieurs témoignages sont cependant venus relancer l’enquête, accréditant davantage la thèse de l’assassinat politique. Les soupçons de la famille de Robert Boulin se portent vers le SAC (Service d’action civique), une organisation d’activistes gaullistes.

« Je n’ai plus de doutes, je pense qu’il a été assassiné »

En 2009, Jean Charbonnel, ancien ministre de Georges Pompidou, affirme au journaliste de France Inter Benoît Collombat : « Je n’ai plus de doutes, je pense qu’il a été assassiné. » En 2011, un ancien gendarme, présent sur place en 1979, selon lequel le corps du ministre était « quasiment à quatre pattes » et « la tête hors de l’eau », assure que « Robert Boulin n’est pas mort noyé ».

En 2013, Jean Charbonnel se dit prêt à livrer deux noms qu’Alexandre Sanguinetti, figure du gaullisme, lui a présentés comme étant les responsables de la mort de Robert Boulin. La même année, un témoin assure à la fille de M. Boulin que celui-ci n’était pas seul dans sa voiture la veille du jour où on l’a retrouvé mort.

Tous ces éléments la poussent à déposer une troisième plainte, qui conduit le parquet de Versailles à ouvrir, en août 2015, une information judiciaire pour « arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat ».

Les noms promis par Jean Charbonnel ont été dévoilés à la justice après sa mort, mais l’un des deux hommes est décédé, l’autre n’est plus en état d’être auditionné. Comme le soulignait Sud Ouest jeudi 26 octobre, « l’enquête est au point mort, ou presque ».